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leurs lavoirs à battre leur linge jusqu’à l’aube. Mais le vent salubre de la mer a tôt fait de dissiper toutes ces vapeurs, et nulle part le soleil ne brille d’un éclat plus doux sur la beauté charmante des choses. C’est l’église, dressée au centre du vallon et du hameau, avec sa flèche en plomb de forme octogonale, sa tour du portail sud, ses nefs séparées par des piliers anguleux, ses magnifiques vases d’or, présents de la duchesse Anne, son calice massif entouré des douze apôtres, le reliquaire où s’aperçoit l’os du doigt de saint Jean. Hors l’église, un ossuaire, et la délicieuse fontaine en plomb à trois vasques où l’eau s’égrène et s’épand. Autour de l’église, des dalles tombales où je déchiffre les dates de plusieurs siècles et le nom des miens sans cesse répété, tous ceux qui ont vécu là, obscurs et peut-être heureux, attachés à la terre et à la mer, et qui reposent maintenant sous les pas du passant, venu de la foule de Paris, qui essaie de faire sa marche douce et sa présence légère.

ROCHERS À TRÉGASTEL.
ROCHERS À TRÉGASTEL.

Le paysage est plus animé, en apparence, que par ces dialogues muets d’un vivant avec les morts, lorsque les feux de la Saint-Jean s’allument au sommet des collines, que la foule accourt, que l’appareil de la fête religieuse emplit la vallée, et aussi le tumulte d’une fête foraine et d’une cour des miracles. Tous les mendiants, tous les estropiés, les manchots, les boiteux, les culs-de-jatte, les paralytiques, les aveugles, les épileptiques, les gangrenés, les tuméfiés de la Bretagne, se donnent sûrement rendez-vous ce jour-là autour de l’église de Saint-Jean. Huit jours avant, les arrivées commencent, les routes sont pleines de piétons. Les pétards, les pièces d’artifice annoncent, le 28, le commencement des réjouissances à toute cette population de misérables éclopés et de pèlerins valides. Les enfants de chœur brûlent l’encens sur les réchauds. Un arc de triomphe a été élevé entre l’ossuaire et la fontaine. C’est là que la procession se forme, que les confréries s’assemblent, que les bannières flottent. Des jeunes filles vêtues de blanc et d’autres vêtues de noir, avec leurs coiffes de toutes les régions, défilent. Les hommes regardent, puis se joignent au cortège. Des marins portent des navires en miniature sur des brancards. Les chantres attaquent l’Hymne du « sainct Doigt ». Et toute cette foule se met en marche vers le coteau où la fusée partie du clocher va allumer le feu de joie. La procession fait le tour du vallon, puis revient vers l’église. Les porteurs de bannières s’acharnent aux tours de force, inclinent leurs étendards chargés de poids pour passer sous l’arc de triomphe. Les fidèles vont vers la fontaine aux trois bassins, y trempent leurs doigts, les aveugles mouillent leurs yeux, les malades boivent. Et c’est le défilé de ceux que l’on appelle les « miracloux », les guéris, ceux qui viennent tête et pieds nus, en manches de chemise, attester la puissance du saint, proclamer leur guérison, rendre grâces au ciel. Tout ce monde, le lendemain, est encore là, pénètre dans l’église, ou essaie d’y pénétrer, la foule se masse aux portes, et dans le cimetière comme à l’intérieur, la cohue se fait compacte, immobile, et même silencieuse, sauf au moment des hymnes et des répons. Les prêtres exhibent les reliques aux yeux de tous : le chef de saint Mériadec, le bras de saint Mandez, et enfin, dans sa chapelle minuscule, le doigt qui est la gloire de la paroisse. C’est pour ce doigt que tout le monde est venu, c’est pour lui que tout le monde défile devant l’autel après la communion, offrant les yeux au contact de la relique. L’office achevé, c’est, comme la veille, la fête populaire, le manger et le