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de petites boîtes en forme ogivale laissent voir les « chefs » de plusieurs évêques. Une cloche, qui sonne seulement le jour du pardon, passe pour dater de saint Pol et pour préserver des maux de tête et d’oreilles. Mais, malgré la beauté de la cathédrale, la merveille, c’est le Creisker. De la plate-forme de la tour carrée, éclairée sur chaque face par deux fenêtres que sépare une colonnade, jaillit le clocher flanqué de quatre clochetons, et jamais le mot flèche n’a été mieux employé qu’ici : la pierre pointe et s’envole vraiment dans les nuages avec une sorte de mouvement visible et vertigineux. C’est une toute petite chapelle qui supporte ce long clocher, de 77 mètres au-dessus du sol. À l’intérieur, une maîtresse croisée et une rosace qui éclairent la nef du côté de la façade ouest, un tombeau, des enfeus, un joli retable d’autel. Le cimetière, non loin, était autrefois garni de crânes en boîtes : le « chef » de M. Un tel, de Mme Un tel, de Mlle Un tel, qui exhibaient tous, sous le verre de leur châsse, le même rictus macabre. Il n’y en a plus aujourd’hui que quelques-uns. L’idée de la mort est ainsi présente, ingénument, aux murailles des cimetières, comme dans les églises où l’appareil funèbre du catafalque est à demeure.

Si l’on sort de Saint-Pol comme nous y sommes entrés, du côté de la mer, Roscoff, qui est à une heure de marche, peut être gagné par un détour, en passant par Pempoul, petit port de pêche défendu par des rochers, d’où l’on aperçoit, droit devant soi, le sombre château du Taureau.

Roscoff, coin délicieux, envahi par la population des baigneurs pendant deux mois de l’année, redevient doux et calme le reste du temps. Le courant du gulf-stream, dit-on, qui enserre l’île de Batz et baigne la côte, y chauffe l’air et la terre. En tous cas, s’il y a doute sur la cause, ce qu’il y a de certain, c’est que la température est tiède, que le goëmon est abondant, que toute la campagne est fertile : jusqu’en hiver, les Roscovites récoltent des artichauts et des choux-fleurs, dans les jardins les plantes africaines croissent comme dans des serres. Pendant la belle saison, c’est la pousse ininterrompue. Asperges, oignons, ails, pommes de terre, mûrissent ici bien avant que partout ailleurs, sont expédiés comme primeurs par terre et par mer. Les fruits exotiques viennent à point, les figuiers sont célèbres, surtout celui de l’ancien couvent des Jacobins, dont il a fallu soutenir, étayer les branches, par des petits murs et par des pieux. Le terrain pour les cultures maraîchères atteint des prix fantastiques, jusqu’à 15 000 francs l’hectare. Les jardins se développent, sur une longueur de plus de 20 kilomètres, au delà de Plouescat.

Le port de Roscoff ne trafique pas que des légumes. Il arme aussi pour les pêches lointaines. Son armement n’a pas toujours été aussi pacifique, car c’est de là que partit en 1404 l’amiral Jean de Penhoët pour combattre la flotte anglaise qui tentait de débarquer au sud de Brest. Et c’est là qu’après la défaite des Jacobites à Culloden, en 1746, Charles-Édouard, recueilli par un corsaire malouin, trouva un refuge. Marie Stuart y vint par Morlaix, disent quelques historiens, et fit bâtir la chapelle de saint Ninien en souvenir de ses fiançailles avec le dauphin.

SAINT JEAN. SCULPTURE INTÉRIEURE DE L’ÉGLISE DE SAINT-THÉGONNEC.

La baie est défendue à l’est par le fort de Blascou, que domine la chapelle de sainte Barbe, et c’est le bourg même qui couvre l’autre pointe, à l’ouest. En avant, un rocher, le Tisaoson, qu’il faut contourner, barre l’entrée du port, peu tenable lorsque soufflent les vents du nord-est. Des embarcations de toutes formes et de toutes dimensions viennent cependant y prendre les cargaisons de fruits et de légumes. C’est un des plus jolis spectacles qui se puissent voir que celui de l’animation de ce port où se mêlent les marins de la Bretagne, de l’Angleterre, de la Norvège. Au-dessus du bassin qui forme presque un cercle, les jardins s’étagent, puis cs maisons grises et rousses, dominées du clocher à galeries et à dômes superposés de l’église Notre-Dame de Croatz-Batz, flanquée d’une tour datée de 1550, le tout exécuté d’après les plans d’un moine italien envoyé de Rome par le pape. En avant du porche, deux ossuaires. À l’intérieur de l’église, des bas-reliefs, des albâtres représentant des scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament, un tabernacle de l’époque de Louis XIV et de vieilles cuves baptismales.

Sur la place de l’église, au fronton d’une modeste maison, cette inscription : Établissement de l’État, annexe de la Sorbonne. On entre. À droite et à gauche d’un couloir, quelques pièces, petites, sommairement meublées, un cabinet, un laboratoire. Au fond, un jardin et un vivier. C’est un des laboratoires de zoologie expérimentale fondés par M. de Lacaze-Duthiers. Le travail fait en Sorbonne, à l’aide des livres et des préparations, est ici transformé, animé, la vie étudiée à ses sources, ses manifestations notées sur place. On ne peut transporter les poissons délicats, les zoophytes transparents et fragiles, morts et ternis aussitôt qu’ils sont sortis de l’eau. C’est dans la mer même, au milieu de la végétation, des pierres, du sable,