Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 08.djvu/308

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raissent comme aveugles et muettes, la vie retirée de partout, ne gardant que ses apparences. Le pèlerinage annuel agite seul maintenant le pauvre hameau. Les statues de pierre renfrognées à l’ombre des porches et les rares êtres vivants qui traversent la place, quelque vieille femme, quelque pauvre petite fille, ont la même apparence de spectres. À venir ainsi errer au Folgoët, dans la solitude et le silence, on croit avoir pénétré dans un cimetière abandonné. L’église est magnifique, mais elle est morte, couleur d’ossements et de rouille, tachée par les mousses, noircie par les pluies. Elle a été longtemps abandonnée, sans surveillance, sans gardien, et les voyageurs ne se faisaient aucun scrupule de la dépecer, mutilant les sculptures, emportant les fragments. Mais je dois raconter la légende et l’histoire du monument, elles sont en accord avec ce paysage doux et désolé, avec cette désuétude, avec cette vie plaintive qui agonise et meurt autour de nous.

La légende a été racontée, au xviie siècle, par un carme, le P. Cyrille Le Pennec, en un style qui n’est pas sans saveur, où les mots se contournent, s’épanouissent et fleurissent comme les ornements de feuillages de l’église, qui grimpent aux cadres des portes et s’élancent aux ogives. Il me faut résumer ce récit. Donc, en l’année 1350, vit dans un village, près de Lesneven, un innocent nommé Salaün, d’esprit « si rétif et grossier » qu’il ne peut retenir des leçons de l’école que les deux premiers mots de la salutation angélique : Ave Maria. Après la mort de ses parents, il se réfugie à une demi-lieue de Lesneven, dans un bois, auprès d’une fontaine. Il habite le tronc creusé d’un arbre « près de ceste belle source, bordée pour lors d’un beau verd-naissant » et il répète, chante. le jour et la nuit, les deux mots dont il se souvient. Il sait dire encore autre chose, pourtant. Il s’en va, tous les jours, à la ville « petit gueux encoigné aux portes, couvert d’une pauvre mandille de gros drap », et dit simplement : Salaün a debrez bara (Salaün mangerait du pain). Il emporte ce qu’on lui donne, trempe ses croûtes dans l’eau de sa fontaine, où il se baigne tous les jours, même en décembre, « comme un beau cigne en un estang ». On nous dit en même temps que l’eau fumait au plus fort de l’hiver et que le corps de l’innocent était crevassé par le froid. Pour se réchauffer, il montait dans son arbre, empoignait deux branches, voltigeait, se berçait, chantait : Ô Maria ! répétant six fois Ô. Tout le pays le considérait comme fol. Beaucoup se moquaient de lui. Quelques-uns venaient le visiter. Rencontré un jour par une bande de soldats « qui couraient la poule sur la campagne », on lui demande qui-vive, et il répond : « Je ne suis ny Bloy, ny Montfort, mais vive la Vierge Marie. » Il meurt, et son corps est trouvé près du ruisseau. On l’enterre là, et « le petit bocage fut le dépositaire du corps de ce bien heureux mignon de la princesse des cieux ».

LA FONTAINE DE LA VIERGE DU FOLGOËT.

C’est alors qu’a lieu le miracle, certifié par des hommes d’église. Un lis sortit de terre à l’endroit où Salaün ar lol avait été enterré, et il portait écrit sur ses feuilles, en lettres d’or : Ave Maria. La fosse fut ouverte, le corps découvert, et l’on « recogneust que ceste royale fleur sortoit par sa bouche du creux de son estomach ». L’odeur de ce lis était si suave « que l’on eust cru fermement que tous les baumes aromatiques de l’Orient auraient été emboëttés dans son oignon ». On vint de tous côtés, ecclésiastiques séculiers et réguliers, seigneurs, gentilshommes du pays, et l’on décida de bâtir une église qui prendrait le nom de Notre-Dame-du-Folgoët, — Notre-Dame-du-Fou-du-Bois. Elle fut en effet construite, commencée peut-être sous Jean IV, comte de Montfort, continuée sous Jean V. On a beaucoup discuté sur les dates, sans pouvoir les fixer. D’après M. de Coëtlogon, qui a publié une notice sur ce sujet, et qui prend pour documents, avec assez de raison, les écussons placés aux clefs de voûte, la première période de construction aurait eu son arrêt en 1370, sous Jean IV. Après l’interruption de trente-quatre ans, causée par les guerres, auraient été exécutés les travaux de la deuxième période. Enfin, la petite tour de la façade, d’un style différent, marqué de Renaissance, aurait été élevée par la duchesse Anne.

Pendant la construction et après, il se fit naturellement, selon le P. Cyrille Le Pennec, un grand nombre de miracles ; mais la plupart, « par la nonchalance de ceux du passé, sont reclus au tombeau de l’oubly ». Mieux vaut écouter l’apologiste religieux lorsqu’il célèbre le travail et l’art des constructeurs de l’église : « Il est aisé aussi de voir, en cest édifice, que les maistres architectes, sculpteurs et menuisiers, qui