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Après Landunvez, Argenton. Le petit port, défendu par de formidables rochers, est bien arrondi, entouré de maisons. De là, je laisse la grande route à gauche, et suis un chemin qui me mène tout droit à Porspoder, tapi dans un extraordinaire amas de goëmon, où les maisons, la petite église, apparaissent confondus avec les pierres. De la chapelle absidiale, la vue est splendide : les côtes et l’eau à perte de vue, une fortification de récifs, un amoncellement d’îlots, une mer enflée, immense. C’est là que la Manche et l’Océan se rejoignent.

De Porspoder, je vais gagner Brest par Saint-Renan, mais je ne regrette pas de m’être arrêté aux ruines de Kergroadez, propriété des Roquelaure, et à Lanrivoaré où plus de sept mille chrétiens massacrés par une peuplade païenne sont, dit-on, enterrés. On désigne l’emplacement que les croyants parcourent à genoux le jour du pardon. Les légendes sont en nombre à Lanrivoaré. En voici une. Elle a trait à sept pierres groupées dans le cimetière sur les marches d’une croix : ce sont sept miches de pain que saint Hervé pétrifia pour punir un boulanger de lui avoir refusé une aumône. Puis, un souvenir du culte des arbres, un tronc de chêne dont les passants détachent des éclats pour préserver leurs maisons de l’incendie. Le bourg de Saint-Renan fut fondé par un moine irlandais qu’Ernest Renan, un saint, lui aussi, un saint laïque, réclamait comme ancêtre dans ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse. Le moine irlandais ne fut pas toutefois un saint bien commode : il inspirait la terreur par ses reproches et ses pénitences, au point qu’après sa mort, ses ouailles n’osaient pas lui choisir un lieu de sépulture. Ils prirent le sage parti de le placer sur un char à bœufs, et lorsque les bêtes s’arrêtèrent d’elles-mêmes, dans la forêt prochaine, on creusa la fosse du saint, et on lui bâtit une église pour apaiser ses mânes. Saint-Renan c’est aujourd’hui un gros bourg, actif et riche. Autrefois, c’était une capitale, dont il ne reste guère qu’un portail en ruines et quelques anciennes maisons des xve, xvie et xviie siècles. Tout près, dans le voisinage de la ferme de Kerloas, est un des plus hauts menhirs, le Bossu, élevé de douze mètres, objet d’un culte particulier : les nouveaux mariés, chacun d’un côté, se frottent aux bosses du Bossu, le marié pour avoir des enfants mâles, la mariée pour gouverner son mari.

LE PONT TOURNANT, À BREST.

Quand on arrive à Brest par la gare du chemin de fer, que l’on a traversé la ligne à redans et courtines des remparts, que l’on a franchi la haute porte à pont-levis, que l’on marche sur les trottoirs étroits, au long des maisons, des édifices d’un gris sombre, il est impossible que le charme du voyage ne soit pas, à cet instant, rompu, que l’on ne se souvienne pas avec regret de la beauté solitaire des paysages d’arbres et de collines, de la saveur de la mer, de la gaieté des flots étincelants dans le soleil. Ce sentiment ne s’apaise pas si l’on descend en ville, si l’on va jusqu’aux bas quartiers qui ne communiquent avec la cité haute de Recouvrance que par des escaliers ou des ruelles fortement inclinées. Un certain nombre de maisons sont adossées au rocher qui forme l’une des extrémités de la ville. Presque partout l’animation est grande, mais elle a quelque chose de monotone, de morne, et elle serait tout à fait silencieuse, si les tramways électriques munis d’avertisseurs ne sillonnaient pas les rues encombrées de foule. Au moins, en semaine, cette foule va vite, parce qu’elle sait où elle va, parce qu’elle a quelque chose à faire. Mais le dimanche ! j’ai passé un dimanche à Brest, un vrai jour de repos et d’ennui ! le dimanche, tout le monde est dehors, bien habillé, correct, faisant consciencieusement le tour du cours d’Ajot, du champ de Bataille, et surtout l’allée et venue de la rue de Siam, qui est la belle rue de Brest, sa Canebière, mais moins gaie que l’autre, celle de Marseille, avec les stores de ses cafés flottant à la brise. C’est plutôt la rue de Paris au Havre que rappellerait la rue de Siam de Brest. Que dis-je ? C’est toutes les grandes rues de province, toutes les promenades, tous les cours, tous les tours de ville. Ce sont les mêmes familles qui y viennent voir et qui s’y font voir, le père, la mère et