Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 10.djvu/426

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hommes restent accotés aux portes des boutiques ou sommeillent dans les chambres, les femmes sortent à l’appel de la cloche, entrent dans l’église. C’est la représentation organisée pour elles, la mise en scène de la vie spirituelle, pour quelques-unes, et pour d’autres, un dérivatif à l’ennui. Cette fois, c’est la veille, le jour ou le lendemain de la fête de Sainte-Anne, je ne sais plus au juste la date. À l’intérieur de l’église, un point du chœur seul est éclairé. La statue de la sainte, grossièrement peinturlurée, se dresse en idole sur un autel enguirlandé de roses d’un rouge vif et de lis d’or flamboyants, illuminé d’un brasier scintillant de petites bougies. Toute la nef, autour de cet autel allumé, est obscure, et c’est à peine si l’on voit bouger les ombres noires des femmes qui se lèvent, s’assoient, s’agenouillent selon les instants de la prière.

Cette prière, c’est un vieux curé, à voix hésitante, qui la prononce dans les intervalles d’une instruction où il raconte la vie de sainte Anne et s’efforce d’en tirer un enseignement applicable à l’assistance qui l’écoute. Il me paraît que cela est bien bref, de formules répétées, de récitation monotone, et qu’un prêtre prenant, comme celui-ci, pour texte, la vie de la femme chrétienne, pourrait trouver à mieux dire sur les besoins du cœur et de l’esprit et sur la morale usuelle. Mais quoi ! l’instruction n’en est pas moins faite ; ce catholicisme timide existe encore, tandis que les partisans de la morale humaine en sont toujours à chercher la mise en œuvre de leurs idées qui doit remplacer, pour les foules, cette mise en scène colorée et lumineuse. C’est à cela que j’ai pensé dans l’église de Savenay, pendant l’instruction du vieux curé et les répons de l’assistance, plaintif murmure où passait ce qui peut rester dans le pays de l’âme des Vendéens, écrasés ici en 1793 par les soldats de la Révolution.

REDON, LA GRANDE PLACE.

Il vaut mieux arriver dans les villes le soir. Certes, Redon ne manque pas de caractère le jour, avec son petit port sur la Vilaine, son clocher isolé au milieu de la place, son église à l’écart, les pierres qui restent de l’ancienne abbaye de Saint-Sauveur. Mais toutes ces choses prennent un aspect plus grand, plus simple, si on les aperçoit aux heures nocturnes. Redon, alors, n’est plus une petite ville, ni même une ville, c’est un décor, le décor d’un drame romantique, un drame avant l’action, quand la toile se lève et que le spectateur attend l’apparition des personnages. Ce soir-là, il n’y a que des comparses, une bonne femme qui passe devant la toile de fond et qui éclaire sa marche d’une lanterne, un prêtre qui sort de l’église. Ensuite, plus personne, la solitude dorée et bleuie par la lune. Pour que cette solitude soit complète, je m’en vais aussi, remettant ma visite au lendemain. Au matin, la ville n’a plus son air pittoresque, farouche, et un peu menaçant de la veille, elle a une bonne apparence paisible de travail accompli régulièrement. Les maisons,