céda sous ses pas, il prit peur, regagna à grand peine le rivage, vit là un signe de la volonté divine, et resta. Il mourut l’année suivante, en 1419. « Le jour de sa mort, — dit Albert le Grand, — on vit un grand nombre de papillons blancs, de merveilleuse beauté, voltiger par la fenêtre de sa chambre, d’où ils ne s’en allèrent, sinon quand il eut rendu l’esprit ; on a cru pieusement que c’était un escadron d’anges qui, en forme de ces petits animaux, attendaient la sortie de cette sainte âme pour la conduire au ciel. » Il est resté le personnage populaire de Vannes ; on montre sa cellule dans la rue des Orfèvres, et MM. A. Clöuard et G. Brault, dans leur charmant Tro-Breiz (Tour de Bretagne) remarquent que les gens de Vannes donnent aux idiots, aux simples, aux innocents, le surnom de Vincent, non par mépris, mais bien au contraire, par respect superstitieux, car ils tiennent les déments, les simples d’esprit, pour des êtres choisis, « ils leur attribuent la connaissance des choses invisibles et prêtent à l’incohérence de leurs discours un sens prophétique et mystérieux ». Le saint est enterré dans l’église, son crâne mis à part dans un reliquaire. Quelques femmes sont agenouillées devant la relique. C’est un jour de semaine, un matin : elles n’ont, sur le haut du chignon, qu’un petit rond de linge qui est une coiffe ; sur les épaules, un fichu à carreaux ; les manches sont larges, bordées de velours ; des bandes de velours, également, dessinent les coutures de leur corsage. Les femmes de Vannes ont l’air avenant et rieur. Les hommes sont graves, mais ceux qui les connaissent disent qu’il ne faut pas se fier à leur air, qu’ils sont volontiers batailleurs, qu’ils peuvent avoir des colères terribles. Toujours est-il que l’aspect des rues est paisible, que les gens vont et viennent lentement. Il faudrait revoir cela un jour de buverie. Le terrible alcool, ici comme ailleurs, fait des siennes. Mais j’aime mieux ne pas attendre l’occasion d’observer le délire trop fréquent de la race. Restons sur l’impression de tranquillité d’aujourd’hui. Vannes est une ville où l’on se couche de bonne heure, voilà qui est certain. Les vieilles maisons sont bien renfrognées, ont l’air de se cacher derrière la fortification, après avoir mis leur bonnet de nuit.
C’est un bon centre d’excursions que Vannes. On peut s’y embarquer, à la Rabine, pour le golfe du Morbihan. On peut aller à Séné, qui est un village de pêcheurs sur le golfe. On peut gagner Auray, Carnac, Locmariaquer. Je choisis Rochefort-en-Terre et la lande de Lanvaux. La course est facile par Malansac, et Rochefort-en-Terre est un endroit bien inattendu, avec les restes de son château plusieurs fois ruiné et rebâti, sa porte et cinq tours encore debout, reflétées dans un étang. Mais ce n’est pas tout. L’ancienne collégiale contient des statues de marbre de Claude de Rieux et de Suzanne de Bourbon, seigneurs de Rochefort, changées en Saint-Joseph et en Sainte-Vierge, et le village est tout à fait étonnant, triste, morne, à s’enfuir : je préfère encore le vieux Vannes, mais il est tout de même impossible de ne pas être saisi par le caractère saisissant de ce village perdu, terré au pied de ce château déchu. C’est une rangée d’humbles et tristes maisons, qui ont, au soir, la couleur et l’apparence rude des rochers. Des marches de pierre surélèvent le seuil de ces chaumières. Des enfants sont assis sur un mur bas. Des femmes viennent sur le pas des portes, puis retournent dans le noir de leur logis. Seuls, les rideaux blancs des fenêtres éclairent ces façades engrisaillées, d’où il semble que ne peuvent sortir que des fantômes. Voici deux femmes que l’on peut mieux voir, et je m’aperçois, à leurs toilettes, que c’est dimanche. Elles sont assises sur les premières marches d’un escalier extérieur. Leurs visages ne disent pas ce qu’elles pensent de ce morne Rochefort-en-Terre, ou plutôt, si, ils le disent, mais de façon différente. L’une est gaie, souriante. L’autre, triste, attentive, fermée. J’en conclus que l’une se plaît ici, que l’autre ne sait pas si elle serait mieux ailleurs. Il en est donc de Rochefort-en-Terre comme de tous les pays du monde. Chacun y a son tempérament et son humeur. De fait, voici des petites filles, de ces petites filles bretonnes qui sont déjà des petites bonnes femmes, très gentilles et très jeunes avec quelque chose de vieillot ou plutôt d’ancien,