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LES ALIGNEMENTS DE CARNAC.

retour de Belle-Île, — peut-être ! De temps en temps, j’aperçois un menhir qui pointe entre les groupes de maisons, mais j’en ai tant vu au Ménec, à Kermario, et à Kerlescan, que je ne vais pas voir si celui-ci ressemble aux autres. Des champs, des dunes, du sable où croissent des pavots bleuâtres, puis la chaussée si resserrée qu’elle semble envahie par la mer : il y a juste place pour la route que coupe le chemin de fer. Ici est bâti le fort Penthièvre, sur un roc surplombant la mer. Il n’y a tout de même pas à craindre l’inondation et la rupture. Quiberon fut une île, et c’est la mer qui a construit patiemment la chaussée, par grains de sable apportés chaque jour. Cette chaussée s’élargira encore sans doute, surtout si l’homme s’en mêle, par des digues, des plantations, ce qui n’est peut-être pas très utile, car l’aspect est fort beau tel qu’il est.

Le pays de Quiberon est triste à première vue, mais on ne tarde pas à lui découvrir un charme. L’absence d’arbres est pour beaucoup dans sa tristesse, et son charme lui vient de la grande simplicité des lignes, des mille jeux de la lumière, de la couleur dorée du sable. J’ai passé assez de temps à Quiberon pour pénétrer et goûter cette beauté d’une terre qui semble abandonnée aux caprices des flots, et qui prend, de ce voisinage souvent hostile, un caractère particulier, très vif et très allègre. On peut, dans ces maisons légères, bâties parmi les sables, sur cette langue de terre balayée d’un seul coup de vent, se croire presque en danger d’être emporté vers l’eau qui trace son immense cercle sous le ciel : Quiberon est un des endroits où l’on a le mieux le voisinage de la mer. Pour cette raison sans doute, il y a beaucoup d’amateurs, et l’été, on ne peut connaître la solitude dans les rues tortueuses de la bourgade, encombrées de promeneurs, d’enfants qui s’en vont au trot des ânes, sous un soleil qui donne l’illusion d’un pays méridional. L’affluence est grande aussi à Port-Haliguen, l’endroit le mieux abrité des vents d’est et des vents du sud, et à Port-Maria qui fait tout à fait face à la mer. On peut toutefois connaître des espaces plus libres, en s’en allant vers la côte sauvage. Les falaises rocheuses se déploient en grandes lignes souples, leur base sans cesse assaillie par les lames qui arrivent du large. Il y a des chaos et des tumultes, et il y a aussi des creux abrités du vent et de l’écume, des oasis d’herbe fine, toutes parfumées d’œillets sauvages. Un des plus beaux points est Port-Blanc, avec la pointe derrière laquelle se groupent les îles qui sont en avant du fort Penthièvre.

C’est là que se joua le drame de 1795, dont l’épilogue eut lieu à Auray. Ce fut la tentative de débarquement des émigrés en une armée formée en Angleterre et montée sur des bâtiments britanniques. Cette armée était commandée par le comte de Puisaye, muni d’instructions du comte d’Artois, d’une lettre de ser-