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Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 10.djvu/455

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tempêtes de Ruysdaël, aux mers violentes de Delacroix : c’est le même vert transparent et glauque, la même force de l’eau, pour ainsi dire musclée.

À Quiberon, après le débarquement des passagers à dos de matelot, on s’en fut chercher un réconfort à l’hôtel, où la table était succulemment servie. Quelle mer ! mais quel déjeuner ! Tous les produits excellents de cette mer furieuse sont là : crevettes, homards, langoustes, araignées de mer, sardines fraîches, et je ne sais combien d’autres poissons et d’autres coquillages. Je reste à Quiberon une journée, et sans le vouloir, au cours de ma promenade, je retrouve les menhirs et les dolmens que j’avais un peu fuis, je l’avoue, après la surabondance des allées de Carnac. C’est le Mané-Meur, menhir et dolmen, les menhirs du Moulin, le dolmen de Keridennel, le dolmen de Port-Blanc. En m’en allant, enfin, vers Hennebont, je vois encore les restes d’alignements de Sainte-Barbe, et, à l’arrêt d’Erdeven, les alignements les plus considérables, qui se dispersent sur une longueur de 2 kilomètres et ne comptent pas moins de 1 030 menhirs, presque tous en ruines, et dont les plus hauts mesurent de 6 à 7 mètres.

Par Hennebont, on rentre dans la vieille Bretagne, et tout de suite, après ce séjour des plages et les villégiatures en toilettes, on est ramené aux souvenirs du passé. Des restes de murailles entourent le vieux château, séjour des seigneurs qui possédaient le pays avant les ducs. C’est là que l’héroïque Jeanne de Flandre fit le serment de continuer la lutte entreprise par son mari, le comte de Montfort, captif au Louvre, et entama, contre Jeanne de Penthièvre, la guerre qui fut nommée la guerre des deux Jeanne. Elle y soutint deux sièges, en 1342 et 1343, et fut délivrée par la flotte anglaise. Avec quelques épisodes des guerres de religion, en 1590, c’est à peu près toute l’histoire officielle d Hennebont.

La ville est bâtie sur deux coteaux entre lesquels coule le Blavet, bordé de quais, creusé en port, où, à marée haute, pénètrent des navires d’assez fort tonnage. L’eau est chargée d’embarcations. La vie d’Hennebont est là. Malgré cette division en deux parties du fait de la rivière, Hennebont comprend en réalité trois villes : la ville Close, la Vieille ville et la ville Neuve. La plus curieuse est sûrement la ville Close, qui peut être dite la plus vieille ville : elle n’a guère changé d’aspect depuis le xviie siècle, époque où la peste la ravagea ; les plus récentes maisons datent de cette époque, et les autres remontent aux siècles précédents. On se croirait encore dans l’ancienne place forte qu’était Hennebont au moment de la Guerre de Succession ; ce sont les mêmes rues sombres et tournantes, les mêmes maisons qui vont perdre l’équilibre, les mêmes marches disjointes. Il reste des morceaux de remparts, une belle porte au pont-levis disparu, des fragments de courtines à mâchicoulis, une tour massive. Parmi ces pierres et celles du château, qui communiquait avec la ville Close par un souterrain, évoquez Jeanne de Montfort parcourant les rues à cheval, se mettant à la tête des hommes d’armes, aux jours de sortie, guettant l’arrivée de la flotte anglaise.

NOTRE-DAME-DE-PARADIS, À HENNEBONT.

Il est d’autres aspects, des rues animées par le négoce, par les jeux des enfants, par le passage des voitures, par la marche des porteuses de lait. Ces rues mènent à la place de l’Église, Notre-Dame-de-Paradis, construction du début du xvie siècle qu’il a fallu restaurer : une grosse tour, des petits clochetons autour du clocher. La ville, malheureusement, est d’une saleté rare, toute Moyen Âge. Le charme d’Hennebont est au dehors : c’est sa situation, sa rivière, ses collines, les paysages verdoyants que l’on aperçoit de toutes parts, une nature plaisante, abondante, qui n’a pas la grandeur sauvage et monotone des paysages de landes autour d’Auray, mais qui réjouit les yeux du voyageur au sortir de tant de régions rudes et misérables. Le pays est aussi mouillé de rivières, ombragé de bois, jusque vers Pont-ScorFf, où il y a une des chapelles romanes de la Bretagne.

Lorient est un port de mer sans la mer. La ville est bâtie à l’embouchure du Scorff, à l’endroit où celui-ci rencontre le Blavet et forme avec lui un large estuaire, étranglé devant la citadelle de Port-Louis, développé ensuite en un large chenal, qui se termine par les pointes du Talut et de Gavre. C’est en quelque sorte, auprès des villes avoisinantes, une ville neuve. Elle date du xviie siècle, alors que les commerçants bretons, faisant le trafic avec les Indes, construisirent sur les deux rives du Blavet des dépôts de marchandises en transit. En 1664, la Compagnie des Indes orientales fut mise en possession de la côte : elle tenait de Louis XIV le droit de naviguer « pendant trente