Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 10.djvu/489

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Plogoff n’est pas déplaisant. Imaginez un village dispersé sur des ondulations de terrain. Une maison ici, deux autres là, trois ou quatre plus loin encore et la douzaine autour de l’église. Ce terrain dénudé, de maigres cultures alternant avec des landes abondantes, est beau de couleurs et de lignes : il est fait de grands espaces d’ajoncs d’un vert sombre, fleuris d’or, de moissons fauves, de sables blancs, de rochers grisâtres, de petits murs de pierres, et parmi tout cela, les clochers, les petites maisons disséminées, avec leurs toits bleus.

Qu’un agile rayon de soleil parcoure cette étendue, illumine de sa lueur ces humbles aspects, et ce terrible pays devient riant. Les femmes y sont avenantes, empressées à renseigner le voyageur. Les enfants sont familiers. Pour les hommes de cette région du cap, ils sont d’une beauté particulière, grands, le profil régulier, l’expression du visage grave ; du moins, les quelques-uns que j’ai aperçus étaient ainsi, et me semblèrent bien en conformité de style avec ces paysages sévères. À Lescoff, c’est la dernière réunion de maisons avant la pointe du Raz.

Encore deux kilomètres par la lande, et c’est le phare, — devenu « l’ancien phare ». Ce n’est pas ici la fin de la terre, puisqu’il y a encore l’île de Sein, et ce n’est pas même le dernier phare, puisqu’il y a encore au large le phare de la Vieille, au feu vert, le phare de Tévennec et le phare d’Armen, bâti aussi en pleine mer, en avant de l’île de Sein, mais c’est la fin d’un continent et la pointe la plus avancée de la Bretagne avec la pointe Saint-Mathieu.

LA POINTE DU RAZ.

Cette première fois où je suis allé à la pointe du Raz, j’ai admiré, tout d’abord, ce phare élevé sur le haut promontoire, et j’ai eu plaisir à la conversation de l’un des gardiens. C’était un homme grisonnant et borgne, qui faisait son métier en conscience, prenant son tour de veille ici, et s’en allant passer sa huitaine ou sa quinzaine, je ne me souviens plus, au phare en pleine mer. Il lisait des journaux, avait des livres, exprimait des opinions fort sensées sur les événements qui se passaient par le monde. Je fus bien surpris, plus tard, d’apprendre que cet homme paisible et sage avait été pris de vertige et de folie, et qu’il avait commis un crime qui, pour être passionnel, n’en était pas moins un crime, étranglant sa femme qui habitait un village du cap. J’ai déploré que l’image de cet homme fût ainsi atteinte et raturée dans mes souvenirs. Je l’aurais voulu détaché des misères de la jalousie et des drames qui naissent de la vanité offensée, de l’amour déçu, de la méconnaissance du réel. La contemplation de