ments difficiles à passer dans le Raz, parmi les écueils de la Vieille, si l’on ne retrouve que pendant trop peu de temps un sentiment de sécurité lorsque la haute mer est abordée, le bateau bientôt repris dans les rochers qui entourent Sein, on connaît encore une fois cette joie d’aborder sain et sauf dans le port Saint-Guénolé, qui se creuse au centre de l’île. Des maisons, très propres et solides, couvertes en ardoises, s’étagent au-dessus de la rade. Parmi elles, une auberge où je descends. Je passe là presque deux journées. Deux journées sous le soleil, pendant que la mer chante tout autour de l’île sa chanson de sirène. Deux journées à errer sur cette terre sans arbres, où il y a des champs très divisés, entourés de petits murs, blé, orge, seigle, choux, pommes de terre, des espaces d’herbe fine, des plants de mauve, des touffes d’anis, et toute la flore humide de la mer, du goémon, du varech dont on extrait la soude en le brûlant dans des fosses de pierre. Aucun arbre, pas même au cimetière, comme à Ouessant. Partout des pierres, des cailloux, autour des champs, sur les champs, dans les chemins, les sentiers : il semble que l’île ait été lapidée par la mer. Des temps mégalithiques, il n’y a plus que quelques vestiges : une des roches de Gador creusée en forme de siège, la Chaise ; deux menhirs penchés l’un vers l’autre et qui semblent chuchoter, les Causeurs ; un dolmen à la pointe du Méneil ; une pierre branlante, dite Men-Cognoc. Les maisons du bourg sont réunies autour de l’église, quelques groupements représentent des faubourgs. Il y a des vaches, mais pas de chevaux, pas de moutons. Les hommes, grands et bruns, sont tous pêcheurs, pêchent le congre, le turbot, la langouste. En ces jours d’été, l’île est tout animée par le mouvement de la pêche. Les femmes, aux yeux noirs, plus fines que les Ouessantines, ont une beauté sérieuse, un air réfléchi, une préoccupation, une gravité, qu’augmentent encore leurs noirs vêtements, leurs coiffes noires. Elles cultivent la terre, ramassent le goémon, tiennent la maison aux murs peints, aux meubles luisants garnis de cuivres, vont chercher l’eau aux citernes. Le pain, la viande fraîche, viennent d’Audierne. L’alcool règne. Mais je lis la notice, si belle, si complète, par laquelle Charles Le Goffic a résumé l’île de Sein, et je ne puis que noter les traits de mœurs qu’il décrit si fortement : les mariages entre îliens, le partage des terres à l’amiable, la piété qui envoie les îliens en pèlerinage à Auray et à Lourdes, le culte à saint Corentin, à saint Guénolé, la poussière ramassée dans la chapelle de Corentin et jetée au vent pour obtenir une bonne traversée, le charme des locutions ordinaires, l’absence d’impôts, le partage, entre le patron et les hommes d’un équipage, d’un pain façonné en bateau, l’immigration des Paimpolais, les orphelins toujours recueillis par leurs parents, les pratiques criminelles et les actes héroïques, les hommes de Sein pilleurs d’épaves, mais grands sauveteurs d’hommes.
L’île de Sein se continue par la terrible Chaussée de Sein. On a mis un veilleur et un avertisseur au bout de ces rochers : le phare d’Armen, dont la base plonge dans l’eau, et où les gardiens et les visiteurs doivent être hissés. Cette petite lumière perdue sur la mer, c’est la fin de la Bretagne.