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Outre les œuvres d’art disséminées un peu partout et demeurées, si j’ose dire, en circulation — tableaux et portraits, accrochés dans les salles et provenant de dons ; bancs et coffres gothiques ; armoires de style bourguignon, aux panneaux de chêne taillés en diamant[1] ; serrures fleurdelisées des portes, du xve siècle, en acier forgé et poli, toutes diverses de travail, et dont la moindre ferait ailleurs l’ornement d’une vitrine — l’Hôtel-Dieu a son Musée. Des débris de sculpture y ont été réunis, des statuettes de bois et d’ivoires mille objets curieux, dont un « gaufrier » aux armes de Philippe le Bon ; puis des soies brodées et des tapisseries.

Parmi celles-ci, on remarque celles qui étaient jetées jadis, aux jours de fête et de procession, sur les lits des malades de la Grande Salle. Ce sont des tapisseries flamandes, écarlates, semées de tourterelles. Elles portent le monogramme de Guigone de Salins, la tour crénelée et fenestrée de ses armes et l’inscription répétée « Seulle », suivie d’une étoile[2]. Le Jeudi de l’octave de la Fête-Dieu, elles sont descendues encore, avec toutes les autres, dans la Cour intérieure de l’Hospice, au carillon des cloches, et suspendues le long des murs, sous les galeries et au balcon, parmi les buis et les branches vertes.

Mais le morceau principal du Musée, celui qui fait sa gloire, est le Retable polyptique du Jugement Dernier à six volets doubles, peints en treize panneaux et présentant, pour leurs deux faces, un développement total de 8 m. 40. L’auteur, qui n’a pas signé, comme le firent souvent les Primitifs, par déférence et effacement volontaire devant la Divinité qu’ils représentaient, est inconnu. Le premier inventaire de l’Hospice, de 1501, qui mentionne le tableau, ne donne aucun renseignement à ce sujet. Attribué parfois à Memling, longtemps et contrairement aux dates, à Jean de Bruges dit Van Eyck, il passe aujourd’hui pour l’œuvre d’un élève de celui-ci, Roger Van der Weyden. Tout ce qu’on peut dire avec certitude, c’est qu’il appartient à l’école flamande du xve siècle et fut exécuté pour l’Hospice, de 1443 à 1452[3].

Les volets extérieurs représentent l’Annonciation, deux petits panneaux en grisaille, et les portraits du Fondateur et de sa femme, accompagnés de saint Sébastien et de saint Antoine, quatre grands panneaux. Les deux saints sont en grisaille, tandis que Nicolas Rolin, vêtu d’une robe noire à chaperon, serrée à la taille par une ceinture d’or, est à genoux, les mains jointes, devant un livre d’Heures ouvert sur un prie-Dieu. Derrière lui un Ange de Guerre flamboyant le front ceint d’un bandeau de pierres précieuses, surmonté d’une croix. Guigone de Salins, épouse du chancelier, porte également une robe noire garnie de martre. Sa tête est couverte d’une sorte de voile blanc, transparent, en forme de hennin, rappelant la coiffure qu’elle donna elle-même aux Sœurs Hospitalières. Elle est, elle aussi, à genoux, et accompagnée d’un Ange très doux. Les volets intérieurs figurent, au revers des deux grisailles de l’Annonciation, quatre Anges, en deux panneaux, portant les Instruments de la Passion : la croix et la couronne d’épines, la colonne et les verges de la flagellation, le vase contenant le fiel et le vinaigre, l’éponge avec laquelle ce mélange amer fut offert au Christ crucifié, enfin la lance dont son flanc fut percé.

SUITE DE L’HISTOIRE DE JACOB. PREMIÈRE RENCONTRE DE JACOB ET DE RACHEL (page 414).

Le « Jugement Dernier » proprement dit, véritable épopée mystique, peinture symbolique où

  1. Sorte de décoration en cabochons, en étoiles et en losanges, à arêtes vives découpées en plein bois, et qui rappelle, par sa forme et son aspect, la taille des pierres précieuses.
  2. Cette espèce de rébus formait la devise galante de Nicolas Rolin : « Guigone est ma seule étoile ».
  3. Van Eyek mourut en 1440, l’année même où Nicolas Rolin reçut la bulle du pape Eugène IV approuvant son premier projet, tout vague encore, de la fondation de l’Hospice. La date de 1443 est celle des premiers travaux effectifs. Le tableau, d’autre part, ne peut être postérieur à 1449, Jean Rolin, fils de Nicolas et évêque d’Autun, qui y figure dans la gloire des Élus, ayant été, cette année-là, promu cardinal, dignité dont le peintre n’aurait pas manqué de lui faire porter les insignes. Enfin la date de 1452 ne saurait être dépassée, même pour les vantaux extérieurs, qui semblent avoir été peints en dernier lieu (Nicolas Rolin y est représenté plus âgé que sur son portrait intérieur), car saint Antoine, qui y figure comme « patron » de l’Hospice, cédait, cette même année, son titre à saint Jean-Baptiste.