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pénitent. Les Assistants sont en un premier groupe : le pape Eugène IV, qui encouragea la fondation de l’Hôtel-Dieu ; Philippe le Bon, duc de Bourgogne, qui autorisa Nicolas Rolin à prendre dans ses forêts tout le bois nécessaire à la construction de l’édifice ; Jean Rolin, évêque d’Autun et fils, d’un premier lit, de Nicolas Rolin ; enfin Nicolas Rolin, semblant plus jeune d’une dizaine d’années que sur son autre portrait qui est au revers du tableau. Quoique vivants encore ils sont nimbés et ont été placés par le peintre sur la nuée glorieuse, par anticipation et en faveur de leurs mérites. Un second groupe comprend pareillement nimbées : Guigone, deuxième femme de Nicolas Rolin ; Isabelle de Portugal, troisième femme de Philippe le Bon ; Philippote, fille, d’un premier lit, de Nicolas Rolin, et filleule du duc et de la duchesse de Bourgogne.

Des quatre derniers panneaux, placés au-dessous de ceux-ci, deux représentent le Paradis et deux autres l’Enfer. À la consommation des temps, le Purgatoire cesse d’exister ; pour tous les hommes, au sortir des grandes assises du Jugement, il n’y a plus que la félicité ou la damnation éternelles. L’Enfer, vers lequel les Damnés s’acheminent d’eux-mêmes, épouvantés, mais comme mûs par une force irrésistible, est, selon la mythologie ordinaire des religions, figuré par une sombre géhenne, un chaos de rochers entre les fissures desquels jaillissent des flammes : feu sans lumière et sans reflets, feu intelligent et conscient, qui mesure l’intensité de la souffrance à la gravité des fautes. Les Damnés sont entièrement nus, pauvres corps lamentables, et on en voit qui tombent dans la fournaise, la tête en bas et les pieds en l’air, en une complète culbute. Parmi eux on distingue un Moine, reconnaissable à sa tonsure : sa langue mensongère a tellement grossi que sa bouche ne peut plus la contenir. Un autre Damné mord sa main criminelle et s’arrache l’oreille, au souvenir des paroles licencieuses qu’il se complaisait à entendre et qui ont causé sa perte. Un Nègre qui, dans le naïf concept de nos pères, ne pouvait avoir l’âme blanche avec sa peau noire, est suspendu à une chaîne ; près de lui, un second Damné, au teint cuivré, symbolise la Race Jaune, non moins condamnée. Le Paradis est figuré par un temple gothique étincelant d’or à l’architecture de rêve. Les colonnes, faites de jaspe, sont enlacées par une vigne chargée de raisins, car c’est le Vin qui, par le mystère de l’Eucharistie, devient le sang de Jésus-Christ. Nef, flèche, clochetons et portiques ruissellent de lumière, et le faîte de l’idéale demeure, volontairement tronqué, s’achève dans une pluie de rayons au delà des dimensions du tableau. C’est la marque de la hauteur incommensurable de la Jérusalem Céleste, de son infini sans limites.

Tel est ce curieux tableau théologique, au symbolisme à la fois savant et simple. Picturalement parlant, il peut être mis au rang des plus purs chefs-d’œuvre. Éclatant par la richesse de son coloris, qui s’y joue, en de chaudes harmonies, des violets sombres aux mauves lie de vin, des verts ardents aux purs vermillons, il a, selon la marque coutumière des vieux maîtres flamands, l’infinie facture des détails, tout en conservant la largeur d’exécution de l’ensemble. C’est de la miniature qui, en se reculant, se transforme en fresque.

VIEILLES MAISONS, AUX TOITS DE TUILES BRUNES, DOMINÉES PAR LA FLÈCHE ÉLANCÉE DE L’HOSPICE.

Primitivement placé au-dessus de l’autel de la Grande Salle des Malades, le Retable du Jugement Dernier fut caché durant le déchaînement révolutionnaire et ne revit le jour qu’en 1802. À cette époque, il choqua les Religieuses par ses nudités et, de même que, dans la chapelle Sixtine, Daniel de Volterra, dit « le Culottier », avait été chargé par le pape Paul IV de peindre des caleçons sur le Jugement Dernier de Michel-Ange, le peintre Bertrand Chevaux eut mission d’habiller de robes de bure brune les Élus et les Damnés. Après quoi, le tableau fut accroché très haut, dans la salle Saint-Louis.

C’est là qu’en 1836, le président de la Commission des Antiquités de Saône-et-Loire, Canat de Chizy, le découvrit littéralement. Il fut descendu et mis en bonne place, mais ce ne fut qu’en 1876 qu’on se décida à