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sons à atteindre l’île Tasman. Avec la nuit, le calme vient. Le 7, au petit jour, nous sommes dans la Storm Bay, maîtres, enfin, de la situation.

Un beau soleil resplendit, tandis qu’une douce joie illumine toutes les physionomies. Il faut que le vieux Fram brille, lui aussi. En avant donc l’astiquage et les fauberts ! Après quelques heures de travail le ripolin du pont bien briqué prend l’aspect d’une laque. Ensuite, c’est au tour des hommes de faire un brin de toilette. Lindström, lui-même, se décide à entrer en contact avec l’eau.

… Voici une station de pilote. Un bruyant canot automobile accoste : « Un pilote, capitaine ? » À cette interrogation, la première voix étrangère qui frappe nos oreilles depuis si longtemps, nous tressaillons. La communication avec le monde extérieur est rétablie ! Le pilote regarde avec surprise en arrivant sur le pont. « Je n’aurais jamais cru, dit-il, qu’un bateau polaire pût être aussi bien astiqué ; l’on ne dirait guère que vous arrivez de l’Antarctique, il semble plutôt que vous rentrez d’une croisière de touristes et que vous vous êtes amusés tout le temps. » Nous ne nous sommes pas, en effet, ennuyés ; sur nos autres occupations, notre intention n’est pas de nous déboutonner pour le moment. Le bonhomme s’en aperçoit, mais il ne nous tient pas rigueur de notre réserve et répond à nos questions. Il n’a pas, il est vrai, grand’chose à nous apprendre. Du Terra Nova, il ne sait rien ; il nous annonce seulement que d’un jour à l’autre, le navire de l’expédition Mawson, l’Aurora, commandé par le capitaine Davis, est attendu à Hobart. Au commencement de février on s’était préoccupé du Fram ; ne l’ayant pas vu arriver, on ne pensait plus à lui. Notre arrivée sera donc une surprise. Le pilote manifeste la volonté arrêtée de ne pas déguster la cuisine du bord, et, très énergiquement, décline notre invitation à déjeuner. Il craint probablement que nous ne lui fassions manger du chien ou quelque chose d’analogue. En revanche, il apprécie fort le tabac norvégien : il nous quittera la blague bien remplie.

Hobart Town est située sur les bords de la Derwent, qui se jette dans la Storm Bay. Le paysage est superbe, et le sol évidemment très fertile. Les bois et les champs sont brûlés par une longue sécheresse. Quel plaisir pour nous de contempler des prés et des bois ! Ils ne sont pas très verts, il est vrai, mais, sous ce rapport, nous ne sommes pas difficiles. Le port de Hobart est excellent, spacieux, et remarquablement bien protégé. En approchant, la procession traditionnelle du capitaine du port, de la santé et de la douane, monte à bord. Le docteur s’aperçoit tout de suite que nous n’avons pas besoin de son ministère, et les douaniers reconnaissent facilement que nous ne portons pas de contrebande.

L’ancre est mouillée ; nous pouvons débarquer. Je prends mes télégrammes et descends à terre avec le bateau du capitaine du port. Me voici revenu à la civilisation. J’ai la satisfaction d’apprendre qu’aucun de nos rivaux n’a atteint le Pôle Sud. Sa conquête nous appartient donc.


Traduit et adapté par M. Charles Rabot.


LE « FRAM » DANS LA BAIE DES BALEINES.