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l’assiette de notre habitation, les précautions les plus minutieuses sont prises. Dans ce dessein, on troue la glace jusqu’à une profondeur de 1 m. 20 pour y enfoncer les supports de la maisonnette ; un travail singulièrement pénible. À 0 m. 60 en dessous de la surface, rien que de la glace blanche, très dure, que le pic égratigne à peine ! Avec cela, un coup de vent d’est qui soulève la neige à une grande hauteur et la laisse ensuite retomber dans les dépressions. Aussi bien, à mesure que nos gars creusent, leur tranchée se remplit. Mais ce ne sont pas gens à se laisser arrêter. Avec quelques pièces de bois, ils installent en avant de leur chantier un paravent ; dès lors, grâce à cet ingénieux appareil, ils ne sont plus gênés et, le soir venu, le travail est terminé. Aucune difficulté ne saurait arrêter des ouvriers de cette trempe.

La journée finie, nous allions entrer dans nos sacs de couchage pour jouir d’un repos bien gagné, lorsque tout à coup les pingouins du voisinage font un sabbat du diable. Que se passe-t-il dans la république ailée ? Sautant immédiatement hors de la tente, nous nous trouvons nez à nez avec un pingouin impérial. Le monstrueux volatile avance gravement en saluant cérémonieusement de droite et de gauche. Il à l’air d’être monté jusqu’à nous pour nous rendre visite. Une telle marque de courtoisie est à coup sûr très touchante, mais l’appétit a raison de notre sensiblerie, et notre visiteur va terminer ses jours dans la poêle.

18 janvier. — Nous commençons le transport des matériaux de construction. Les chiens ayant repris l’habitude du travail, tout marche à souhait. À peine un traîneau est-il déchargé qu’un autre arrive, et aussitôt après, les matériaux qu’il apporte sont dressés. Toutes les pièces ont été numérotées avant le départ et arrimées à bord dans l’ordre où elles doivent être employées. Par suite, nul besoin de faire des recherches pour trouver telle ou telle poutre : on a tout sous la main. De plus, en Norvège, un de nos charpentiers a dressé la maisonnette sur le chantier et la connaît, par suite, dans ses moindres détails.

C’est avec joie et fierté que je songe à ces journées laborieuses ; avec joie, car jamais je n’entends une plainte, quelque dur que soit le travail ; qui n’eût pas été fier de commander à de tels hommes, soucieux uniquement de l’accomplissement de leur devoir ?

Dans la nuit, le vent tombe, et le lendemain, le temps redevient calme et clair. Un vrai plaisir de travailler dans cette douce tiédeur et dans cette lumière. Pendant nos allées et venues entre le navire et la station, nous chassons le phoque. Point besoin d’aller à la quête : le gibier se rencontre sous nos pas.

LES FONDATIONS DE FRAMHEIM.

20 janvier. — Le transport des matériaux de la cabane étant achevé, nous commençons celui des provisions. Ce charroi s’opère très gaîment. Le premier voyage de la journée, du campement au Fram, le matin, avec les traîneaux vides, est particulièrement amusant. Au réveil chacun de nous est salué par les aboiements joyeux de son attelage. À qui mieux mieux toute la bande hurle et bondit en tirant sur ses chaînes. Ah ! s’ils pouvaient se précipiter vers leur maître ! Aussi bien nous hâtons-nous de rendre visite à ces fidèles serviteurs. Le maître de l’équipage passe au milieu d’eux, en les caressant tour à tour. Celui qui est gratifié de ces petites tapes amicales manifeste la satisfaction la plus vive, tandis que ses camarades essaient de se libérer pour « tomber » le favori. Tous sont d’une jalousie extraordinaire ; ces bêtes, qui ne sont en somme que des loups apprivoisés, aiment leur maître autant, sinon plus, que le plus domestiqué de nos animaux. Après cette entrevue, les conducteurs apportent les harnais ; ce sont alors de nouveaux hurlements de joie. Quelque singulier que cela paraisse, ces bêtes aiment le travail ; mais, après de longs et rudes voyages, ce sentiment se modifiera. Le matin, remis de leurs fatigues par le plantureux repas du soir et par la nuit, les attelages sont-frais et dispos ; aussi les harnacher n’est pas une besogne facile. Cela fait, on n’est pas au bout de ses peines. Autour du camp, des caisses, des barils gisent çà et là ; pour les chiens, ils offrent le plus grand intérêt, et, dès que le signal du départ est donné, ils filent