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une longue plate parallèle au glacier nous amènera au-dessus de la cascade de séracs. Plus haut, l’Axel Heiberg est encore très crevassé ; sur cet étage aucun obstacle insurmontable ne semble toutefois se rencontrer. D’ailleurs, l’éloignement est trop grand pour que l’on puisse se rendre compte de la viabilité de cette partie du glacier. Afin de juger plus complètement la situation, nous poursuivons la reconnaissance. La neige est molle ; avec les skis cela va encore, mais les chiens auront du mal à passer.

Serré entre les montagnes, l’Axel Heiberg devient de plus en plus étroit ; aussi je m’attends à trouver la glace très disloquée au point où la chaîne que nous suivons disparaît sous le glacier. Fort heureusement, il n’en est rien. Au pied des crêtes du Don Pedro, le terrain est excellent, et bientôt à notre entière satisfaction, la chute des séracs qui nous a arrêtés est dépassée. Sur notre route, point de grands accidents. Le versant de la montagne et le glacier s’unissent pour former une large plate, on pourrait même dire une plaine. Il y a simplement des dépressions, vestiges d’anciennes crevasses aujourd’hui fermées. D’ici, l’Axel Heiberg apparaît dans toute son étendue ; nous constatons alors qu’il se termine autour des crêtes Wilhelm Christophersen et Ole Engelstad. Plus loin, dans l’écartement de ces deux groupes, apparaît le plateau supérieur. La voie que nous suivons permettra-t-elle de l’atteindre ? Entre la chaîne Don Pedro Christophersen et le groupe Wilhelm Christophersen, un glacier descend du plateau pour s’unir à l’Axel Heiberg ; il est tout hérissé de séracs et déchiré de crevasses, par suite impraticable. Entre les monts Wilhelm Christophersen et Ole Engelstad, impossible également de passer. Au contraire, la nappe de glace qui s’étend du mont Ole Engelstad à la chaîne Fridtjof Nansen paraît relativement aisée. Bien que très fatigués tous les trois, nous poussons encore en avant, afin d’étudier notre route aussi complètement que possible.

À mesure que nous avançons, le terrain entre les monts Engelstad et Fridtjof Nansen se découvre plus nettement ; sans qu’il soit besoin d’aller plus loin, nous reconnaissons que cette branche du glacier constitue la meilleure voie d’accès au plateau supérieur. Demain, si le temps est favorable, nous atteindrons cette haute plaine. Après cette constatation, nous battons en retraite vers le campement ; nous avons hâte de nous mettre quelque chose sous la dent.

Le point où nous rebroussons chemin se trouve à l’altitude de 2 400 mètres ; nous avons donc à descendre 750 mètres. Sur la pente, très rapide par endroits, nous faisons de longues glissades. Du sommet de l’arête dominant la tente, la vue est grandiose. De tous côtés des crevasses, des trous gigantesques, d’énormes blocs de glace, un chaos effroyable, et sans cesse le tonnerre des avalanches. Les monts secouent leur carapace hivernale pour prendre leur costume de printemps.

Nos camarades restés au camp ont préparé à noite intention un excellent ragoût de pemmican. Ce soir-là, ce fut une véritable fête, non pas que le menu comportât quelque extra. Nous ne pouvions nous accorder pareil luxe, mais la joie était générale. Nous avions compté que l’ascension du plateau nous prendrait dix jours ; or, il est certain que nous l’accomplirons en moitié moins de temps. Les chiens dont nous sommes obligés de nous débarrasser seront sacrifiés six jours plus tôt que nous ne l’avions pensé ; par suite, nous économiserons une grande quantité de vivres.

TROIS AMIS : LUCCOY, KARÉNIUS, SANEN.

20 novembre. — À huit heures du matin, comme d’habitude, nous partons. Le temps est superbe, clair et calme. L’escalade de l’escarpement est pénible ; cette fois encore, les chiens enlèvent brillamment l’obstacle. Comme la veille, la neige molle retarde la marche. Au lieu de suivre la route d’hier, nous nous dirigeons droit vers le point où nous avons décidé d’attaquer la dernière grande pente du glacier. À mesure que nous approchons de la nappe glacée qui passe entre le mont Ole Engelstad et le Fridtjof Nansen, une émotion intense nous saisit. Ce chemin sera-t-il praticable ? Si cette voie nous est fermée, quelles difficultés n’aurons-nous pas à