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points de vue, la situation s’améliore. Les sacs de couchage étendus sur le traîneau sèchent et, ce qui est de beaucoup le plus important, il n’est pas nécessaire de réduire les rations. Ce soir, nous avons une ratatouille de pemmican et de viande de poney, la meilleure que nous ayons jamais mangée durant ce voyage. L’absence de notre pauvre Evans facilite l’œuvre de notre commissaire, mais, s’il eût été là, fort et solide comme autrefois, nos progrès auraient été plus rapides. Que nous réserve l’avenir ? Je suis inquiet que la saison soit aussi avancée.

Lundi, 20 février. — Température au déjeuner : −25° ; au dîner : −26°,1. Toujours la même surface épuisante ! Dans la matinée, quatre heures de pénible labeur nous amènent au camp de la Désolation, celui où, à l’aller, un blizzard nous a arrêtés quatre jours. Nous comptions y trouver une nouvelle provision de viande de poney ; malheureusement, nos recherches sont demeurées infructueuses. Progrès terriblement lents ; nous espérons que les choses iront mieux, une fois que nous serons plus loin de terre. La situation est désolante, mais, comme d’habitude, les épreuves sont oubliées lorsque nous sommes réunis sous la tente devant un repas copieux.

Mardi, 21 février. — Température au déjeuner : −12°,5 ; au dîner : −23°,8. Au départ, temps couvert.

Parfois de sombres pensées nous assaillent, puis ce sont de courts moments d’espoir quand nous retrouvons les traces ou des cairns. Au déjeuner, nous croyions avoir perdu notre ancienne piste, lorsque, une ou deux heures plus tard, nous avons rencontré le dernier mur élevé pour abriter les poneys et, plus loin, l’empreinte circulaire laissée par une tente. Nous terminons l’étape en suivant d’anciennes traces des poneys. Nous nous trouvons dans une zone critique où les cairns sont espacés à de grandes distances. Si nous en sortons, nous atteindrons la partie de la route régulièrement jalonnée ; tout dépend du temps.

Mercredi, 22 février. — Température au dîner : −18°,8. Sûrement nous passerons un moment extrêmement critique avant de rallier les quartiers d’hiver ; en raison de l’époque avancée de la saison, cela sera peut-être fort grave. Aujourd’hui, peu après le départ, vent de Sud-Est très frais, accompagné d’un fort chasse-neige au niveau du glacier. Nous perdons alors la trace, d’ailleurs peu distincte.

L’après-midi, Bowers, certain que nous sommes trop à l’Ouest, nous fait venir à droite. Résultat : nous dépassons un ancien campement de poneys sans le voir. L’étude de la carte, ce soir, nous prouve que nous sommes maintenant trop à l’Est. Un temps clair nous permettrait de réparer cette erreur, mais le ciel se dégagera-t-il ? L’avenir est sombre, d’autant que la même difficulté peut se représenter, alors même que nous aurons corrigé notre erreur.

Ce soir, le vent tombe et le ciel s’éclaircit au Sud. Cela nous donne de l’espoir ; je me félicite également que le découragement ne nous envahisse pas à la suite de malchances comme celle que nous éprouvons actuellement. Au dîner, ratatouille de poney ; elle est si nourrissante qu’après le repas, de nouveau nous nous sentons forts et vigoureux.

Jeudi, 23 février. — Au départ ; temps ensoleillé et presque pas de vent. Bowers ayant pris des relèvements, nous reconnaissons à l’aide de la carte, que nous devons nous trouver à gauche de la piste plutôt qu’à droite. Notre position est si incertaine que c’est assumer une grande responsabilité que d’incliner à droite ; par suite aucun de nous n’a envie de prendre cette direction.

Juste au moment où nous décidons de nous arrêter, Bowers aperçoit un cairn double indiquant l’emplacement d’un ancien camp. Aussitôt nous reprenons courage.

Cet après-midi de nouveau en route ; relevé un second cairn ; le soir campé à 4 kilom. 8 du dépôt. Il n’est pas encore visible. S’il fait beau, impossible de le manquer. Quel immense soulagement ! Couvert 15 kilom. 7 en sept heures. Nous pouvons donc faire de 18 kilomètres à 22 kilomètres sur cette surface. Nous voici sur notre ancienne trace, régulièrement jalonnée de cairns sans solution de continuité jusqu’aux quartiers d’hiver, je l’espère du moins. De nouveau donc les choses prennent bonne tournure.

Vendredi, 24 février. — Belle journée, trop belle. Une heure après le départ, une chute de cristaux de glace pulvérulents rend le traînage pénible. Aperçu et atteint le dépôt de la Barrière au milieu de la matinée. Trouvé les approvisionnements en bon état, sauf les bidons de pétrole, qui ont beaucoup perdu : la plus grande économie de combustible s’impose. Nous possédons dix jours de vivres à compter de ce soir, et la distance à couvrir est inférieure à 130 kilomètres.

L’arrivée à ce dépôt nous redonne de l’entrain et nous fait oublier momentanément nos préoccupations. Il est certain que nous avons constamment monté depuis le camp de la Boucherie. La Barrière, dans le voisinage de la côte s’abaisse, sauf dans les régions où elle se trouve pressée par des glaciers.

Maintenant, la variation diurne de la température est très grande. Il fait presque chaud sous la tente, tandis que j’écris. Nous suivons les anciennes traces ; devant nous s’élève un cairn marquant une demi-étape. Couvert ce matin 8 kilom. 3. Le pauvre Wilson souffre d’une ophtalmie aiguë, conséquence des efforts d’hier. Je souhaiterais posséder plus de combustible.

La situation va devenir grave si le halage reste aussi pénible. Je ne sais trop que penser ; l’approche rapide de l’hiver est grosse de menace. Quelle chance que de pouvoir augmenter nos rations de portions de