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Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 20.djvu/117

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Dans ce dernier campement, face à face avec la mort, ces trois héros puisèrent dans leur énergie sublime la force pour adresser à leurs proches un suprême adieu. Plusieurs lettres écrites par Scott méritent de trouver place ici à côté de son admirable message au peuple anglais. Les premières sont un ultime témoignage en faveur des deux amis qui furent ses compagnons fidèles jusque dans la mort.


Ma chère Madame Wilson,

Si cette lettre vous parvient, c’est que Bill (Willson) et moi sommes morts ensemble. Maintenant que notre dernier moment approche, je tiens à vous dire combien votre mari a été grand dans ces circonstances : toujours énergique, toujours prêt à se sacrifier pour les autres, ne m’adressant jamais le moindre reproche de l’avoir entraîné dans cette terrible aventure. Il ne souffre pas, heureusement, du moins très peu.

Ses yeux gardent un bon regard bleu d’espérance ; son âme est calme et confiante ; dans sa foi, il se regarde comme un élément des desseins du Tout-Puissant. La seule consolation que je puisse vous apporter, c’est de vous dire qu’il meurt comme il a vécu, en brave et en homme loyal, lui, le meilleur des camarades et le plus sûr des amis.

De tout mon cœur je m’unis à votre douleur. — Votre R. Scott.


Ma chère Madame Bowers,

Cette lettre vous parviendra après une des plus dures épreuves que la vie vous ait réservées.

Je vous écris au moment où nous touchons au terme de notre expédition. Je l’achève en compagnie de deux braves et nobles gentlemen. L’un d’eux est votre fils. Il était devenu un de mes plus chers et de mes plus intimes amis ; j’appréciais son caractère élevé, son intelligence et son énergie. À mesure que les difficultés se sont multipliées, son courage indomptable a grandi ; jamais il n’a faibli et toujours il est demeuré plein d’entrain et d’espoir.

Les voies de la Providence demeurent impénétrables, mais elle doit avoir ses raisons pour qu’un homme si jeune, si vigoureux, qui promettait tant, soit repris par elle. De tout cœur, je m’unis à votre douleur. Jusqu’à la fin, il a parlé de vous et de ses sœurs. C’est la preuve de l’union qui régnait dans votre famille ; peut-être est-il doux de n’avoir à reporter son souvenir que sur des années de bonheur. Jusqu’à la fin il est resté serviable, uniquement préoccupé des autres et plein d’espérance, persuadé que Dieu vous sera miséricordieux. — Votre R. Scott.


À sir J. M. Barrie.
Mon cher Barrie,

Nous allons sauter le pas en un lieu dépourvu de tout confortable. Dans l’espoir qu’il sera retrouvé et vous sera ensuite envoyé, je vous écris ce mot d’adieu… Je vous demande de venir en aide à ma veuve et à mon fils — votre filleul. Nous sommes en train de montrer que les Anglais savent encore mourir en braves et en luttant jusqu’au bout. On apprendra que nous sommes arrivés au Pôle et nous avons fait tout ce qu’il était possible de faire, n’hésitant pas à nous sacrifier nous-mêmes pour sauver nos compagnons malades. Cela sera un exemple pour les générations futures ; aussi je pense qu’il est du devoir du pays d’aider ceux qui restent dernière nous à nous pleurer. Je laisse ma pauvre femme et votre filleul, Wilson et Edgar Evans, également une veuve, cette dernière dans une modeste situation. Faites ce que vous pourrez pour que leurs droits soient reconnus. Adieu. Je ne crains pas la mort, mais je regrette de renoncer aux plaisirs que je me promettais d’avance lorsque nous reprendrions nos longues promenades. Je ne me suis peut-être pas montré un grand explorateur, n’importe. Nous avons accompli la plus longue marche qui ait jamais été fournie, et nous avons été bien près d’un triomphe. Adieu, mon cher ami. — Toujours à vous, R. Scott.

Notre situation est désespérée ; nous avons les pieds gelés ; pas de combustible et sommes loin de tout dépôt ; mais cela vous réconforterait si vous nous voyiez dans notre tente chantant et devisant joyeusement sur ce que nous ferons à notre retour à la pointe de la Hutte.

Plus tard. — Nous sommes tout près de la fin, mais nous n’avons pas perdu, et ne perdrons pas notre bonne humeur. Depuis quatre jours la tempête nous retient sous notre tente, et nous ne possédons ni combustible, ni provisions. Après avoir eu d’abord le projet de nous suicider quand les choses en arriveraient là, nous avons décidé de mourir de mort naturelle sur notre piste.

C’est un mourant, mon cher ami, qui vous demande d’être bon pour sa femme et son enfant. Aidez mon fils dans la vie, si l’État ne le fait point. Il doit y avoir une bonne étoffe en lui… Vous êtes l’homme pour qui j’ai eu dans la vie le plus d’admiration et d’affection, mais je n’ai jamais pu vous montrer combien votre amitié m’était précieuse, car vous aviez beaucoup à donner et moi rien.


À l’honorable sir Edgar Speger, Bart.16 mars 1912, lat. 79°5′.

Mon cher sir Edgar,

Je souhaite que ce mot vous parvienne. Je crains que cela ne soit fini pour nous, ce qui laisse l’expédition dans le gâchis. Mais nous avons atteint le Pôle et nous mourrons en gentlemen. Je n’ai de regrets