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et rapporter les fameuses raquettes. Notre seul espoir maintenant, c’est que la surface de la Barrière devienne de plus en plus consistante à mesure que nous nous éloignerons de la mer. Mais combien précaire est cette espérance ! En tout cas, c’est déjà un résultat d’avoir découvert le moyen de triomphes de la neige molle. Demain nous repartirons : Atkinson, étant éclopé, demeurera ici avec Crean.

LES PINGOUINS À LA PROMENADE.

Mardi, 2 février. — Nous nous sommes ébranlés vers 10 h. 30. À mon grand étonnement, les poneys n’enfoncent guère, et pendant plus d’une heure la colonne avance assez rapidement. Plus loin, la piste est moins bonne. Cet état de la neige, si différent de celui que nous nous attendions à rencontrer, nous détermine à dormir le jour et à marcher désormais la nuit et le matin, c’est-à-dire pendant les heures où la température est basse. Les poneys se reposeront mieux durant la période chaude de la journée ; c’est là un avantage à considérer, même si la piste ne devient pas meilleure la nuit. Hier, une fois le vent tombé, la température s’est abaissée à 20°,1 sous zero. Aujourd’hui, temps chaud et calme.

Vendredi, 3 février. — Départ à minuit trente. Nous faisons 14 kilom. 4. À la fin de l’étape, la neige semblait s’affermir, lorsque, au moment de camper, le poney de Bowers, qui tient la tête de la colonne, enfonce. Plusieurs autres qui marchent sur ses talons commencent à barboter à leur tour, et bientôt trois chevaux se débattent dans une nappe de neige molle.

Nous munissons de raquettes le cheval de Bowers. Après avoir pendant quelques minutes marché un peu gauchement, il s’habitue à ces engins et peut être attelé aux traîneaux laissés en détresse. Sans broncher, la bête passe sur la même plaque où elle avait auparavant enfoncé. Que ne possédons-nous un grand nombre de ces raquettes ! Sept chevaux pourraient certainement en être munis, et même, après quelques essais, le huitième, celui d’Oates. Ainsi chaussés, les chevaux haleraient sans aucune difficulté leurs charges sur les champs de neige molle. Combien il est énervant de penser que nous avons négligé d’emporter ces engins, qui nous auraient rendu de si grands services !

Après avoir soufflé pendant tout le jour, le vent du Sud-Ouest tombe et le ciel est couvert. J’écris mon journal après un somme de neuf heures, tandis que mes camarades reposent encore. L’emploi des poneys sur la Barrière entraîne des arrêts prolongés. D’après l’ordre de marche adopté, les chiens partent une heure et même plus après la colonne, et arrivent au campement suivant peu de temps après que les poneys ont été mis au piquet. Ils tirent très bien, l’attelage de Meares surtout, mais ils sont tant soit peu difficiles. Sous le harnais, en général ils donnent l’impression que la concorde règne entre eux, ils vont paisiblement côte à côte, épaule contre épaule, et, quand ils font halte, ils ont l’attention d’enjamber ceux qui sont déjà couchés. Mais l’occasion d’une ripaille se présente-t-elle, aussitôt leurs passions s’éveillent, chacun regarde de travers son voisin, et, pour le plus futile prétexte, se jette sur lui. Si en marche leurs traits viennent à s’emmêler, leurs instincts batailleurs se manifestent non moins brutalement. Un attelage paisible, qui un instant auparavant cheminait nonchalamment en remuant la queue, devient soudain une bande de démons