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sur l’immensité, de Nîmes à la Sainte-Baume, d’Avignon aux Saintes-Maries, d’Aigues-Mortes à l’étang de Berre.

C’est encore la légende qui poétise l’origine de la stèle romaine des « Trémaïé », énorme bloc détaché du versant sud du plateau, debout sur le penchant d’un précipice, taillé en aiguille et portant trois figures grandioses sculptées, objet de la vénération des populations voisines. Les saintes Maries, Jacobé, Salomé et leur servante Sara vinrent d’Arles au ier siècle prêcher dans les Alpines et, pour éterniser le souvenir de leur prédication, elles gravèrent miraculeusement leurs effigies sur un rocher : « collines des Baux, Alpines bleues, vos mornes, vos aiguilles garderont dans tous les siècles la trace de notre prédication gravée dans la pierre. » D’aucuns, il est vrai, ont voulu voir dans ces trois personnages Marius dont les légions campèrent aux Baux, sa femme Julie et la prophétesse Marthe. Ils fondent leur opinion sur la présence d’une autre stèle, dite des « Gaïé », dans laquelle les archéologues reconnaissent un autel païen destiné aux sacrifices, également orné de deux personnages sans tête, qui seraient Marius et Marthe la prophétesse.

Voici enfin, au fond du vallon d’Enfer qui inspira Dante, dans les remparts de roche qui forment la chaîne des Baux, en un lieu que hante la salamandre et que les oiseaux de nuit indiquent de leur vol tournoyant, le Trou des Fées, repaire de la sorcière Taven à qui Mireille amena Vincent pour faire conjurer sa blessure. « Là errent les fées, pareilles à des rayons qui tremblottent ; avec les chevaliers qu’elles enchantèrent jadis, elles continuent la vie d’amour dans les allées ombreuses de cette chartreuse tranquille. » L’imagination provençale a qualifié de noms terrifiants cet antre creusé dans le roc, dont les ramifications se poursuivent pendant plus de 200 mètres. Après la grotte de la sorcière, où un mamelon stalagmitique noirâtre figure le sarcophage de Taven, on traverse le Couloir Infernal pour arriver à la Chambre de la Mandragore. Le Corridor des Esprits Fantastiques lui fait suite, précédant la Salle des Fantômes. Tout au fond le Pas de l’Agneau noir donne accès à la Salle de la Conjuration qu’arrosait le Ruisseau des sept chats d’où Taven, avec son bras décharné, retira la drogue dont elle aspergea la blessure de Vincent, étendu sur la Table de porphyre.

Cette visite impressionnante termine notre séjour aux Baux et, tandis que la vieille forteresse disparaît peu à peu à l’horizon, nous regrettons de ne pouvoir, modernes princes charmants, réaliser le vœu de Mireille : « Si quelque roi, par hasard, de moi devenait amoureux, dès qu’il m’aurait mise impératrice et souveraine, des Baux je ferais ma capitale ! Sur le rocher où il rampe aujourd’hui, je rebâtirais notre vieux château en ruines ; j’y ajouterais une tourelle qui, de sa pointe blanche, atteignit les étoiles ! »

SAINT-CHAMAS. L’ANTIQUE PONT FLAVIEN (page 308). — CLICHÉ J. SERRE, À SAINT-CHAMAS.

La descente vers Arles est rapide par le Paradou et Fontvieille d’où Alphonse Daudet data les Lettres de mon moulin. Les ruines de l’abbaye de Montmajour se dressent sur une colline dominant la plaine du Trébon. Cette région était autrefois envahie périodiquement par les eaux du Rhône et pendant plusieurs mois de l’année on abordait en barque au monastère ; l’inondation fertilisait le pays, mais le séjour dans ces lagunes était si malsain que les Bénédictins durent édifier un vent sur la Montagnette de Tarascon pour y envoyer leurs malades faire des cures d’air : telle est l’origine de l’abbaye de Frigolet. Montmajour fut fondé au vie siècle par saint Césaire, mais les édifices qui existent actuellement : église Notre-Dame au-dessus d’une crypte, cloître et bâtiments canoniaux, chapelles de Saint-Pierre et de Sainte-Croix, sont postérieurs à l’an mille. Ces édifices ont une grande valeur archéologique. La crypte, très remarquable, a une chapelle centrale voûtée en coupole et entourée de cinq chapelles rayonnantes. Le cloître roman, plus grand et plus sévère que celui de Saint-Trophime, forme un rectangle éclairé par des arcades accouplées trois par trois,