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avec des colonnettes rondes ou cannelées qui supportent d’autres petites arcades en plein cintre ; les chapiteaux sont ornés de feuilles d’acanthe, de personnages, d’animaux : la tarasque y a sa place, ainsi que le mistral personnifié par un buste d’homme cheveux au vent, recroquevillé, la figure grimaçante et qui marche en s’arcboutant, les mains aux genoux. La tour de défense, haute de 26 mètres, est couronnée d’un parapet crénelé avec échauguettes en encorbellement. La chapelle Saint-Pierre aurait, suivant la tradition, servi de refuge à saint Trophime et l’on y montre sa cellule appelée le confessionnal. À quelque cent mètres de l’abbaye la chapelle Sainte-Croix, dont la partie centrale est un magnifique spécimen de la voûte en arc de cloître, s’élève au milieu d’un ancien cimetière où se voient, à fleur de terre, des sarcophages vides et sans couvercle creusés dans le roc. Vendue nationalement à la Révolution, l’abbaye est en partie propriété privée, mais les Monuments Historiques ont classé les édifices les plus importants du monastère, dont la visite nous a très vivement intéressés.

Montmajour est à peine à quelques kilomètres d’Arles et l’excursion que nous achevons est facilitée, dans la belle saison, par les services d’automobiles que la Compagnie P.-L.-M. a organisés au départ d’Avignon avec arrêts à Châteaurenard, Saint-Rémy, les Baux, Montmajour, et retour par Arles et Tarascon.

Aujourd’hui nous filons sur les routes blanches et poussiéreuses de la Crau, dans la direction de l’étang de Berre. Saint-Chamas en occupe l’extrémité nord. C’est un gros bourg industriel auquel la poudrerie nationale la plus importante de France donne une grande animation. L’agglomération est coupée en deux par les pentes d’une colline creusée de grottes habitées, sorte de cité troglodyte, et dominée par les restes de tours et de remparts d’un château ; son port abrite une flottille de bateaux de pêche. Mais l’affluence des étrangers à Saint-Chamas est surtout motivée par la visite de l’antique pont Flavien, jeté sur la Touloubre par un prêtre de Rome et d’Auguste nommé Donnius Flavius, monument d’un puissant intérêt archéologique, dont l’arche unique est encadrée par deux arcs de triomphe ornés de colonnes d’ordre corinthien et surmontés de lions en parfait état de conservation.

LES MARTIGUES. BARQUE DE PÊCHE (page 310). — CLICHÉ J. SERRE, À SAINT-CHAMAS.

De Saint-Chamas la voie ferrée, contournant l’étang de Berre, descend directement à Marseille par Rognac, Vitrolles, le Pas des Lanciers et l’Estaque. Mais, le soleil aidant, nous cédons sans peine aux sollicitations d’un très aimable cicerone qui veut bien nous guider dans une promenade charmante sur la côte ouest de l’étang. Successivement la route s’élève en lacets vers les hauteurs d’où l’on découvre des panoramas d’une infinie variété, puis s’abaisse jusqu’au niveau du rivage. Des alternatives d’ombre sous les hautes pinèdes, et de lumière sur les plateaux rocheux et dénudés, donnent un charme étrange à ce coin de Provence qui, en maints endroits, rappelle les bords des lacs suisses et italiens. Nous dépassons l’établissement de bains de mer du Déla et, sur le plateau de Saint-Étienne, nous jouissons d’un admirable coup d’œil : en face, l’étang de l’Olivier et la vieille ville d’Istres ; à droite, la vallée du Fanfarigoule et la plaine de la Crau où « se rendent à quatre pattes ou d’une volée les magiciens et les sorciers qui vont dans les thyms boire à la tasse d’or en faisant la farandole, où dansent les Garrigues, où, des feux follets de Saint-Elme, sautants et tourbillonnants, bondit la flamme tortue » ; à gauche, les eaux bleues de l’étang de Berre dans lesquelles se reflètent les voiles latines des barques de pêche. Voici les vestiges du village ruiné de Vulturno où des tombeaux romains taillés dans le roc se trouvent pêle-mêle à travers les sapins ; puis les ruines de l’ermitage Saint-Symphorien ; enfin le canal de communication des étangs de l’Olivier et de Berre, en partie creusé dans le roc, construit en 1660 pour assainir Istres contaminée par les eaux stagnantes de l’Olivier. Istres, où l’on pénètre par le portail d’Arles, fut autrefois, sous