Aller au contenu

Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 20.djvu/36

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous l’avons échappé belle. Si le traîneau avait été entraîné dans la chute, Meares et moi aurions sûrement été grièvement blessés, sinon tués. Les chiens ont reçu un terrible choc et subi une violente compression : trois d’entre eux vomissent le sang et paraissent souffrir de lésions internes plus ou moins graves. La plupart sont demeurés suspendus dans le vide par une mince corde qui leur serrait le ventre, et dans cette position, se sont furieusement débattus. L’un d’eux a essayé de grimper le long des parois du gouffre en allongeant les pattes en avant et en arrière, si bien que les deux murs de la crevasse sont balafrés de coups de griffe ! Deux qui se trouvaient accrochés l’un près de l’autre se battaient, quand le mouvement de pendule de la corde qui les soutenait leur permettait d’arriver à portée… L’accident s’était produit entre 1 heure et 1 heure et demie, et c’est seulement à 3 h. 20 que l’attelage était délivré. Quelques-uns de ces pauvres animaux sont ainsi restés suspendus plus d’une heure.

UN ICEBERG EN VOIE DE DÉMOLITION AU MILIEU DE LA BANQUISE.

Après le déjeuner, nous nous remettons en route. La neige est maintenant molle et unie ; sur une pareille surface, il y a moins de chances de rencontrer des crevasses. Après leur chute, les chiens ne sont pas précisément brillants ; de plus, la piste laisse à désirer ; aussi leur allure est-elle lente.

À une violente tempête de Sud a succédé un magnifique soleil qui inonde la tente pendant que j’écris. C’est le jour le plus calme et le plus chaud depuis le début de cette expédition. Vingt kilomètres seulement nous séparent encore de Safety Camp ; demain nous y arriverons. Plusieurs chiens m’inquiètent. Nous aurons de la chance si nous n’en perdons aucun.

Mercredi, 22 février. — Maigres comme des lattes, très fatigués et toujours tris affamés, les chiens marchent mal. Évidemment, ils ne sont pas assez abondamment nourris ; l’année prochaine leur ration devra être augmentée et leur régime approprié aux circonstances. Le biscuit seul n’est pas un aliment suffisant. Meares s’entend parfaitement à la direction de la meute, mais il ignore les conditions régnant dans l’Antarctique. Les chiens ne peuvent traîner à la fois de lourdes charges et des hommes assis sur le traîneau ; nous devrons donc abandonner la méthode russe et désormais courir à côté des attelages. Meares s’imaginait, je crois, que le voyage du Pôle, aller et retour, s’accomplirait, confortablement installé sur un traîneau tiré par des chiens. Cette première expédition lui a ouvert les yeux.

Vers 4 h. 30 du matin, nous arrivons de nouveau à Safety Camp (distance : 22 kilomètres), où nous trouvons le lieutenant Evans et son escouade en parfaite santé. Hélas ! ils n’ont plus qu’un seul poney !

Wilson, Meares, Evans, Cherry-Garrard et moi sommes partis ce matin à 11 heures pour la pointe de la Hutte. Arrivés là, tous les incidents du jour pâlissent devant une surprenante nouvelle contenue dans le courrier que me remet Atkinson : Amundsen est installé dans la Baie des baleines !

Poursuivre l’exécution de notre programme comme si un fait nouveau ne s’était pas produit, c’est le seul parti à prendre. Certes, Amundsen est un concurrent sérieux et sa base d’opérations se trouve de 100 kilomètres plus rapprochée du Pôle que la nôtre. Son programme me paraît excellent, et sa meute lui donne sur nous cet avantage capital de pouvoir commencer son voyage dès le début de la saison, alors que