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on sert le punch et l’on boit à la santé de Campbell et à celle de nos camarades de la Terra-Nora, puis on entame un quadrille de lanciers. L’effet du champagne et des liqueurs généreuses commence alors à se manifester. Tandis qu’un naturaliste s’est mis au lit, Oates, ordinairement fort taciturne, plaisante bruyamment et s’efforce d’entraîner un camarade dans un pas de quatre ; de son côté Keohane réclame une discussion sur la politique irlandaise et Clissold manifeste sa joie par des hurlements.

La fête battait son plein lorsque tout à coup Bowers entre, portant un énorme arbre de Noël chargé de bougies allumées et de cadeaux. À cette vue, la gaîté redouble et les plus bruyantes manifestations accueillent la distribution des présents. De son côté, la nature semblait vouloir participer à notre allégresse en nous offrant le spectacle d’une magnifique aurore australe. Longtemps, je demeure absorbé dans la contemplation de ce merveilleux météore. Lorsque je rentre, la fête touche à sa fin, la plupart de mes camarades ont gagné leurs couchettes, et bientôt le silence se fait. C’est ainsi que fut salué le début d’une saison, qui devait être une époque décisive dans notre vie.

Dimanche, 25 juin. — Le jour du solstice d’hiver a paru le premier numéro du South Polar Times publié par Cherry-Garrard. Il est principalement composé d’articles humoristiques.

Mardi, 27 juin. — L’escouade qui doit se rendre au cap Crozier[1] est partie ce matin, avec deux traîneaux. Chaque traîneau chargé ne pèse pas moins de 309 kilos ; chaque homme aura donc à haler 103 kilos : un bon poids ! Sur la banquise, nos amis n’éprouvent point de difficultés à traîner leur véhicule ; je crains qu’il n’en soit pas de même sur la Barrière. Cette expédition en plein hiver est une tentative hardie, sans précédent. Les hommes qui en ont assumé la charge offrent toutes les qualités nécessaires pour assurer son succès.

Jeudi, 29 juin. — Toute la nuit, et jusqu’à 8 h. 30, ce matin, calme plat. Température −30°. Brusquement, à 9 heures, le vent se lève et son premier souffle atteint la vitesse de 64 kilomètres à l’heure. En même temps la température monte à 5°,5. Moins d’une heure après, la brise cesse presque soudainement et la température descend, mais un peu moins brusquement. Au milieu d’une période de calme, une d’air relativement chaud s’est abattue sur nous tout d’un coup, arrivant et disparaissant comme une trombe. D’où vient-elle et où va-t-elle ?

Des chiens ont attaqué un phoque. Sur la banquise, nous trouvons le cadavre d’un de ces amphibies, tué par quelque vagabond de la meute. Demetri a tué, de son côté, plusieurs de ces mammifères marins, et, cet après-midi, Meares en a abattu un. Le voisinage de ces animaux peut être très utile, mais combien il est fâcheux que les chiens aient découvert leur retraite.

UN GROUPE DE PINGOUINS SAUTANT SUR L’ICEFOOT.

Mardi, 4 juillet. — Blizzard. Ce matin, le vent atteint la vitesse de 60 à 70 kilomètres à l’heure, et la température varie entre −31° et −33°. Ce n’est pas précisément un temps de promenade. À 5 h. et demie, entraînés par le goût des aventures, Atkinson et Gran se mettent en route, à mon insu, l’un vers la baie du Nord l’autre vers celle du Sud, afin d’examiner les thermomètres de ces deux localités. À 6 h. 45 Gran est de retour pour le dîner. Il n’avait pu avancer à plus de 200 ou 300 mètres de la côte. Si furieuses étaient les rafales contre lesquelles il eut à lutter qu’il n’employa pas moins d’une heure pour revenir à l’habitation.

Le dîner terminé, Atkinson n’a pas reparu. Pour qu’il puisse retrouver son chemin, un projecteur est allumé sur un monticule voisin de la maison. En même temps Evans (le sous-officier), Crean et Keohane partent à sa recherche avec une lanterne. À travers les nuages, la lune apparaît très voilée. Quoiqu’il en soit sa lueur est suffisante pour permettre à notre voyageur de se guider. Aussi grande devient

  1. Elle était composée du Dr Wilson, du lieutenant Bowers et de Cherry-Garrard. (Note du traducteur.)