Page:Le Tour du monde - 02.djvu/126

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et sont séparées des figures de la voûte par une suite de compositions de dimensions moins grandes. Voici l’ordre : au fond de la grande coupole, le Christ ; au-dessous, les anges, archanges et chérubins ; à gauche en regardant le chœur : Jésus devant Pilate, la Passion (admirable composition divisée en trois parties) et la Résurrection ; au-dessous et au-dessus de la bande d’émaux qui surmonte les stalles, les saints guerriers martyrs, saint Georges, saint Démétrius, saint Procope, saint Théodore et saint Mercure (reproduits par Papety) ; à droite, Jésus devant les docteurs, le Massacre des innocents, l’Entrée de Jésus-Christ à Jérusalem et l’Annonciation ; au-dessus de la porte du narthex, la Mort de la Vierge.

Devant les portes de bronze du narthex, données par Nicéphore Phocas, s’élève sur de minces colonnettes, le baptistère appelé chez les Grecs la phiale[1]. Sur le bord du bassin, à côté de deux lions d’exécution médiocre, destinés à soutenir les cierges, des groupes d’oiseaux sculptés dans le marbre boivent au vase sacré, image de la communion. À la voûte est peinte la Vierge avec ce monogramme : η Zωοδοχος Πηγη, la source qui donne la vie, et sur un des pendentifs, saint Athanase frappant un rocher d’où jaillit une source. Ce fait se rapporte à la légende suivante : pendant que saint Athanase construisait le monastère de Lavra les envoyés de Satan desséchèrent les cours d’eau : le saint s’adressa à la Vierge sa protectrice, qui lui remit une baguette en fer et lui ordonna d’en frapper un rocher. On montre la baguette dans le diaconicon et la source à quelques pas du monastère. Dans les nombreux miracles que les caloyers attribuent à saint Athanase, la force musculaire joue un grand rôle, et les légendes cessent d’être aussi miraculeuses quand on voit les tibias énormes du saint précieusement conservés dans une châsse d’un travail exquis.

Le président du conseil des Épitropes, le P. Melchisédek, nous montrait les reliques et les richesses du trésor avec un certain orgueil, car Lavra est toujours resté le couvent le plus riche en ornements de tout l’Athos. Il serait très-long d’énumérer ici les reliquaires, les croix, les ostensoirs qu’on nous fit passer devant les yeux. Je citerai seulement un tabernacle en or avec émaux champ-levés reproduisant une basilique. Ce tabernacle ne sort de l’église qu’aux jours de grandes fêtes. On voulut bien nous laisser reproduire au soleil ce chef-d’œuvre, preuve de confiance que je devais à une consultation médicale, couronnée d’un plein succès. Les moines vivent dans la plus complète ignorance de la médecine et des médecins, ce qui ne les empêche pas de passer souvent la centaine : quelques-uns diraient que c’est là la raison. À notre arrivée dans le couvent, la communauté, qui relevait d’un long jeûne au caviar et aux olives, avait les yeux caves, le faciès mauvais, le pouls irrégulier et l’humeur maussade : une distribution générale de calomel fit merveille et le lendemain chacun avait le teint rose et frais, le sourire facile et la repartie joyeuse ; on nous eût, je crois, si nous l’avions demandé, donné le monastère, avec d’autant moins de regret qu’il a l’air de peser sur les épaules de ces pauvres moines. Tout autour de cette trop vaste habitation, ils ont élevé des skites et des cellules où ils se tiennent le plus habituellement. Rien n’est joli comme ce paysage rajeuni, ou les sentiers tournoient dans des plants bien cultivés, coupés de cours d’eau.

Depuis que nous avions mis le pied sur l’Athos et que nous allions de couvent en couvent, nous endormant chaque soir derrière les ponts-levis au milieu du lugubre peuple des moines, il nous semblait que nous voyagions en plein moyen âge : à Lavrare nous trouvions l’Europe. La vieille foi de l’Orient est malade un peu partout, elle se meurt dans le monastère Saint-Athanase. C’était un couvent de cénobites, c’est aujourd’hui un couvent libre, dans trente ans ce ne sera plus un couvent : les moines s’ennuient. Ils ne lisent plus les vieux préceptes gravés sur les murs ; ils racontent les miracles d’un air de doute, regardent au loin les bateaux à vapeur passer dans la brume de l’horizon et vont plus volontiers à Constantinople qu’en pèlerinage à Sainte-Anne sur la cime de la montagne.

J’ai dit que l’Athos avait 2066 mètres d’élévation. Au-dessous de la région neigeuse est construite la chapelle Sainte-Anne où les moines vont chaque année, au mois d’août, adresser des prières à la Vierge.

L’Athos[2] a cela de commun avec les autres montagnes qu’il est très-fatigant d’y monter et qu’une fois en haut on n’y voit rien, que les images en relief de la chapelle Sainte-Anne…, chose extraordinaire, au milieu de la chrétienté grecque qui ne les tolère pas ordinairement, mais spectacle assez commun en toute autre partie du globe.

La conservation de ces bas-reliefs se rattache à la querelle des iconoclastes. Le culte des images depuis longtemps proscrit par les évêques d’Égypte, qui voyaient ainsi un moyen de faire disparaître les idoles, fut interdit en Orient par Léon l’Isaurien. Pendant l’été de l’année 726, indiction neuvième, dit Théophane dans ses Annales, il sortit une épaisse fumée, comme d’une fournaise ardente, entre les îles de Thera et Theresia de l’Archipel ; la mer, s’élevant à gros bouillons, jeta quantité de pierres ponces de tous côtés, sur les terres voisines d’Asie et d’Europe, et il parut une île nouvelle près de l’île d’Hiera. Quoique de pareils accidents arrivent de temps en temps, l’empereur Léon prit celui-ci pour un prodige et pour marque de la colère de Dieu irrité de l’honneur qu’on rendait aux images. Car il s’était mis dans l’esprit que c’était une idolâtrie. Donc, après la dixième année de son règne, l’an de J. C. 727, ayant assemblé le peuple, il dit publiquement que

  1. Cette fontaine est appelée par Eusèbe basilicæ lavacrum. C’est là que les premiers chrétiens faisaient les ablutions exigées avant d’entrer dans le temple, usage conservé par Mahomet dans le Koran. Cette fontaine servait aussi de baptistère et était séparée de l’église, comme cela se voit encore dans certaines villes de l’Italie. La veille de l’Épiphanie on y fait la bénédiction solennelle de l’eau en mémoire du baptême de Jésus-Christ.
  2. C’est dans cette partie élevée de l’Athos où se trouve la chapelle Sainte-Anne, que le sculpteur Demophile voulait tailler une statue gigantesque d’Alexandre tenant d’une main une ville et de l’autre la source d’un torrent.