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VOYAGE AU MONT ATHOS,

PAR M. A. PROUST.[1]
1858. — INÉDIT.


La légende d’Arcadius. — Le pappas de Smyrne. — Esphigmenou. — Théodose le jeune. — L’ex-patriarche Anthymos et l’Église grecque. — L’isthme de l’Athos et Xerxès. — Les monastères bulgares, Kiliandari et Zographos. — La légende du peintre. — Beauté du paysage. — Castamoniti. — Une femme au mont Athos.

On nous cite une autre légende qui veut que le monastère de Vatopédi ait été fondé par un prince de Blakie et, chose assez singulière, un prince catholique. Ce qui le ferait croire, c’est que le couvent de Vatopédi a longtemps reçu des secours de Rome et que, dans un vieux pan de murailles est encastré un petit bas-relief représentant cette dotation à la Vierge par le prince.

L’école de théologie qu’y fondèrent au siècle dernier Eugène Bulgares et Nicéphore Théodoxis donna à ce couvent une grande importance : les églises y sont nombreuses ; le catholicon, placé contre l’ordinaire à un des angles de la cour principale, est orné de fresques de Panselinos malheureusement retouchées ; il y a quelques belles mosaïques[2] et entre autres un tétramorphe très-bien conservé. (Le tétramorphe est la réunion en un seul corps des quatre attributs des évangélistes : l’ange de Saint Matthieu, l’aigle de saint Jean, le livre de saint Marc et le bœuf de saint Luc, groupés sur un corps humain ailé. J’ai parlé de cette méthode symbolique pratiquée souvent par les Byzantins : la source divisée en trois ruisseaux par exemple, ou le soleil, sa lumière et son rayon, figurant la Trinité. Cet usage répandu dans toutes les religions d’Orient vient des prophètes de la Judée qui voyaient, dans l’arche d’alliance, la verge d’Aaron et l’urne de la manne, les symboles de la Sainte Vierge ; dans le serpent d’airain, Jésus-Christ en croix, et dans la mer et la nuée, le baptême.

Bas-relief du couvent de Vatopédi. — D’après le dessin de M. A. Proust.

Les Grecs qui viennent en pèlerinage à la Sainte-Montagne (pèlerinage que tout bon orthodoxe doit faire une fois en sa vie) débarquent à Vatopédi, que son commerce de bois met plus souvent en rapport avec les villes de l’Asie que les autres couvents. Un pappas de Smyrne, qui était allé à Kariès faire viser ses papiers, nous demanda de se joindre à nous pour visiter les couvents. Il voyageait avec ses deux fils : le plus jeune avait ces grands traits empreints de noblesse et de mélancolie que les habitants de l’Asie ont conservés plus purs que les Grecs de l’Attique, et portait la tête fièrement emmanchée sur le col avec un air de conviction qu’elle lui appartenait, tandis que nous, occidentaux civilisés, serrons la nôtre tellement dans des cravates et l’enfonçons si profondément dans nos habits qu’il semble que nous ayons peur de la perdre.

Un jour que nous allions visiter un skite à peu de distance du couvent et que ces pèlerins marchaient devant nous, je remarquai combien ils se fondent harmonieusement dans le paysage. Les chauds rayons du soleil ont déteint sur leur fontanelle jaunie et adouci les couleurs trop vives de leurs vêtements. Dans les pays du nord, quand la foule s’éparpille au grand air un dimanche d’été, elle a revêtu sa chemise reblanchie, ses souliers revernis et son chapeau aux reflets luisants ; alors, sur la verdure mate, le soleil s’accroche à tous ces êtres comme à des paillettes d’or, et on croit entendre comme le bizarre concert de fausses notes dans la pastorale de Beethoven. Ils font fuir les oiseaux et mettre les bœufs en fureur, et cependant ils ont raison et contre les bœufs et contre les oiseaux ; car c’est un besoin sous notre ciel gris d’attirer sur nos bottes et notre chapeau un rayon de la lumière avare. Sous ce ciel d’Orient, au contraire, le soleil est ardent, la végétation vigoureuse, et il semble qu’on respire la santé dans l’air : les ermites de l’Athos ont vraiment un grand mérite et ne pas devenir épicuriens. Du reste, le skite que nous visitons ce jour-là ne ressemblait en rien à une trappe ; ses habitants tis-

  1. Suite et fin. — Voy. pages 103 et 113.
  2. Il est intéressant, dit M. Didron, dans son Iconographie, de constater que la mosaïque est byzantine et chrétienne. D’après la chronique arabe du patriarche Eutichius, les musulmans trouvèrent l’église de Bethléern, église élevée par sainte Hélène, ornée de fsefya. Edrisi dans sa description de la mosquée de Cordoue, affirme que l’enduit qui recouvre encore les murs de la Kibla fut envoyé de Constantinople vers le milieu du dixième siècle à Abdérame III par l’empereur romain. Les Grecs appellent encore aujourd’hui la mosaïque ψηφοις (psephises).