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l’isthme que fit entailler Xerxès. Je ne tenterai pas de prouver le plus ou le moins de probabilité du percement. Juvénal y croyait peu :

    « Creditur olim
Velificatus Athos, et quidquid Græcia mendax
    Audet in historia. »
        (J., Sat., X, v. 173.)

Belon n’y croit pas.

Clioiseul Gouffier se livre à ce sujet à un calcul assez compliqué, d’où il résulte qu’il aurait fallu à Xerxès soixante-deux mille journées d’ouvriers pour arriver à terminer ce canal. Voici le passage d’Hérodote à cet égard, liv. VII, chap. xm et suiv. (traduct. Larcher.) — « On avait fait des préparatifs environ trois ans d’avance pour percer le mont Athos, parce que dans la première expédition la flotte des Perses avait essuyé une perte considérable en doublant cette montagne. Il y avait des trirèmes à la rade d’Éléonte dans la Chersonèse. De là partaient des détachements de tous les corps de l’armée, que l’on contraignait à coups de fouet de percer le mont Athos, et qui se succédaient les uns aux autres. Les habitants de cette montagne aidaient aussi à la percer. Bubarès, fils de Mégabyze, et Artachès, fils d’Artée, tous deux Perses de nation, présidaient à cet ouvrage…

« … Voici comment on perça cette montagne : on aligna au cordeau le terrain près de la ville de Sané, et les barbares le partagèrent par nations. Lorsque le canal se trouva à une certaine profondeur, ceux qui étaient au fond continuaient à creuser, les autres remettaient la terre à ceux qui étaient sur les échelles ; ceux-ci se le passaient de main en main jusqu’à ce qu’on fût venu tout au haut du canal ; alors ces derniers le transportaient et le jetaient ailleurs. Les bords du canal s’éboulèrent, excepté dans la partie confiée aux Phéniciens, et donnèrent aux travailleurs une double peine…

Albanais, soldat de la garde des Épistates. — Dessin de Villevieille d’après M. A. Proust.

« … Xerxès, comme je le pense sur de forts indices, fit percer le mont Athos par orgueil, pour faire montre de sa puissance, et pour en laisser un monument. On aurait pu, sans autant de peine, transporter les vaisseaux d’une mer à l’autre, par-dessus l’isthme ; mais il aima mieux faire creuser un canal de communication avec la mer, qui fût assez large pour que deux trirèmes pussent y voguer de front. »

Le percement de cet istlime large de 1200 mètres au plus serait aujourd’hui très-facile, le sol n’étant élevé que de quelques pieds au-dessus du niveau de la mer. On ne s’explique guère pourquoi Xerxès entreprit ce travail qui ne lui épargnait qu’un trajet de 12 ou 13 lieues et le forçait quand même à aller passer à la pointe de l’Athos pour doubler les caps Felice et Palliouri qui forment avec celui-ci comme les trois dents d’une fourchette. Si l’on admet le percement, il faut admettre la raison d’orgueil qu’en donne Hérodote ; la raison d’utilité était nulle.

Kiliandari est à peu de distance en dedans de cet isthme à l’extrémité de la montagne. Le porche qui sert d’entrée est sombre, mais l’intérieur de la cour avec son double rang d’arcades superposées a un air de propreté et d’animation qui réjouit. La marqueterie en briques du catholicon contribue à égayer cet ensemble. Au-dessus des murailles la montagne développe sa ligne verte et les arbres se penchent jusque sur les toits. Ce tableau heureux de lignes est sans doute fort beau, mais à la longue ces montagnes deviennent étouffantes et on voudrait pour beaucoup un de ces plats horizons de nos plaines au bout d’une route droite comme un I qui laisse voir au loin le clocher du village coiffé de son bonnet d’ardoise.

Les moines de Kiliandari, Serbes et Bulgares, ont un vêtement plus sombre que celui des caloyers grecs, mais qui toujours, à une faible nuance près, a l’apparence du feutre usé : leurs mains, leurs visages, prennent sous l’ardeur du soleil cette même teinte, et je me surprenais parfois contemplant avec admiration le pantalon de Nankin de Schrany dont le jaune d’or rompait un peu la monotonie du ton général.

Les Bulgares, peuple tranquille et laborieux, for-