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ments chauds, vers huit heures du soir je me mis en route, accompagné du guide Salvatore.

Nous suivîmes d’abord un chemin pratiqué sur le courant d’un fleuve de laves scoriacées, et nous arrivâmes bientôt à la seconde région, regione selvosa, ou région des bois. Sauf aux endroits que des coulées modernes ont recouverts, le sol, formé d’une terre poudreuse et grisâtre, est peuplé de chênes, de hêtres, de figuiers noirs, de pruniers sauvages, et dans les parties les plus élevées, de sapins, de pins et de bouleaux ; des touffes de mousses, des fougères, des mauves, des orchys, des fraxinelles, croissent dans cette poussière féconde.

Nous prîmes un peu de repos dans une cabane ou s’arrêtent les gens de Catane qui vont chercher la glace.

Le froid commençait à me pénétrer ; Salvatore fit un peu de feu, je me couvris d’un second manteau, et nous repartîmes pour finir la traversée de la région des bois.

Tout à coup la végétation cessa, et je me trouvai au milieu d’un désert silencieux et sombre, où l’on n’entendait que le pas mesuré de nos mulets, où l’on ne distinguait, à la lueur de la lune, que les flancs pelés et les rudes arêtes de la montagne. Il fallut gravir alors un dôme de scories, appelé la Montagnuola, du sommet duquel partent deux bras ouverts du côté de la mer, et circonscrivant une vallée de six à sept kilomètres de diamètre qu’on nomme val del Bove. Cette gibbosité se termine par le piano del Lago, surface presque plane, où se trouvent la torre del Filosofo (à 2885 mètres au-dessus du niveau de la mer) et la Casa inglese. La tour du Philosophe, construction grecque ou romaine, se compose de quelques assises de laves et de briques.

C’est à la Maison anglaise, construite en 1811 par les officiers anglais, que nous fîmes notre seconde halte et que nous laissâmes nos montures, le reste de l’ascension ne pouvant se faire qu’à pied. Un peu de repos et de nourriture ayant rendu du ressort à mes membres et de la chaleur à mon sang, nous gagnâmes, sur une coulée de laves raboteuses et mobiles, le pied du cône supérieur du volcan, annexe éphémère que chaque éruption modifie, élève ou renverse tour à tour. De ce point restaient environ cent mètres à gravir, sur une pente très-rapide ; je n’insisterai pas sur les difficultés, les fatigues, les dangers même de ce trajet, dont je vins à bout à grand-peine ; enfin je pus m’asseoir harassé, les jambes déchirées, mais fier comme un vainqueur, sur un point du cercle solide qui termine l’Etna. Le soleil se levait. J’avais à côté de moi la fumée sortant du cratère, derrière une effroyable profondeur et les flancs noirs de la montagne, en avant l’horreur du chemin que je venais de parcourir et les immensités de la mer et du ciel.

Le panorama de tous côtés n’a de bornes que la portée de la vue ; on estime à plus de 2000 milles la circonférence de l’horizon que l’œil peut embrasser. La mer et ses îles occupent la plus grande partie de la scène ; la Sicile, au centre, présente aux regards sa surface triangulaire. On distingue le lac de Lentini, le cours du Simèthe, les montagnes de Madonia, Catane, Messine, Trapani et Palerme à demi cachée dans le brouillard. L’Etna lui-même paraît comme un monde ; ses pentes verdoyantes, les villages dont il est semé à la base, ses crêtes arides, ses anfractuosités profondes, sa fumée, tout est visible ; les tons les plus variés, les contrastes les plus bizarres, excitent à la fois l’intérêt et l’admiration.

J’approchai le plus possible des bords intérieurs du cône renversé au fond duquel est la bouche du volcan. Mais les vapeurs étaient trop épaisses pour qu’on aperçût rien.

La descente de l’Etna n’est qu’un jeu, en comparaison de la montée. Vers midi, j’étais dans l’auberge de Nicolosi, où je retrouvai Luigi et le muletier. Le soir nous couchâmes au village des Giarre.


Taormine. — Messine. — Retour à Naples.

Au delà des Giarre, le chemin suit constamment le bord de la mer. On traverse le fleuve di Calatabiano ; puis on quitte les terrains volcaniques dont l’Etna est tout entouré, et l’on parvient à Giardini, village moderne situé au pied du mont Taurus, sur le penchant duquel est assise l’antique Taormine (Tauromenium), détruite par les tremblements de terre, et qui n’a plus qu’une population misérable de 3000 habitants. Il lui reste ses ruines : des aqueducs, des réservoirs, des naumachies, des tombeaux, des temples même, et les vestiges d’un théâtre, l’un des plus beaux de l’antiquité. Le théâtre est situé hors des murs fortifiés de la ville moderne, sur l’extrémité d’une éminence, et creusé en partie dans la roche vive. Il pouvait contenir 25 000 personnes. Tout dégradé qu’il est maintenant, il produit un effet saisissant. De ses gradins, on jouit d’une vue admirable : la mer azurée et les gracieuses découpures de ses côtes, les plaines verdoyantes et parsemées de villages qui s’allongent jusqu’aux flots, Giardini et Taormine dressant au pied et sur les flancs du Taurus leurs maisons, leurs églises et leurs vieilles tours, et au-dessus, dominant tout, la masse gigantesque de l’Etna ! (voy. p. 9).

De Taormine à Messine, la route traverse des campagnes fertiles où les villages abondent, et côtoie fréquemment la mer.

À une certaine distance de Messine, la vie d’une grande ville se fait déjà sentir.

Disposée en amphithéâtre sur la côte qu’un étroit bras de mer sépare de l’Italie, construite à neuf, peuplée de près de 100 000 habitants, Messine paraît être un agréable séjour.

Deux grandes rues parallèles au quai, le Corso et la via Ferdinanda, la partagent d’une manière régulière. Le port, vaste, sûr et commode, est le plus fréquenté de toute la Sicile ; une citadelle et plusieurs autres ouvrages fortifiés sont destinés à le protéger. Le quai, orné de statues et entre autres d’une figure de Neptune, est bordé d’édifices d’une construction élégante, mais inachevés.

La façade de la cathédrale, en marbres de diverses couleurs, est percée de trois portes ogivales, et ornée de bas-reliefs, de mosaïques, de colonnes très-ouvragées, de