Page:Le Tour du monde - 02.djvu/190

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paru singulièrement enthousiastes dans leurs appréciations des nombreuses vertus de leur colonie. Je ne me sentais guère entraîné à leur donner pleine confiance, car l’exagération de leurs éloges me portait à réagir intérieurement. Ces colons me semblaient par trop entraînés par leurs sentiments personnels, et, bien que j’aime l’enthousiasme, je m’en méfie.

Mais la seule vue d’une portion fort limitée de l’Australie du sud me convainquit qu’il y avait réellement dans cette colonie les éléments capables d’exciter les sympathies et de justifier les éloges de quiconque est l’ami des terres australiennes. Dès le premier pas que je fis en dedans de sa frontière, je fus à même de constater un développement remarquable de patiente et laborieuse industrie. Le même esprit règne dans toute la colonie. Les ressources ne sont peut-être pas à comparer avec celles d’un voisinage plus favorisé, mais quelles qu’elles soient, elles sont développées avec autant d’intelligence que d’activité. Aussitôt que l’on arrive au lac Alexandrina, des terrains en pleine culture, des habitations confortables, des moulins à vapeur, des centres de populations prospères apparaissent de toutes parts, et l’on se sent dans un pays où tous les besoins d’un peuple civilisé peuvent facilement trouver satisfaction.

Rarement, j’éprouvai une sensation plus agréable que celle que me procura la vue soudaine de Villianga, un charmant hameau situé à mi-route de Goolwa à Adélaïde. Nous avions chassé tout le jour et sans beaucoup de succès à travers une contrée misérable et stérile ; notre patience était à bout comme nos forces. Les broussailles de gommiers, une incessante succession de coteaux poussiéreux, n’avaient été qu’imparfaitement compensés par quelques belles échappées et par une abondance de ces belles fleurs sauvages que l’Australie semble réserver aux parties de son sol les plus ingrates, lorsque soudain, au déclin du soleil, les tristes broussailles parurent s’évanouir et le spectacle qui s’offrit à nous ne ressembla à rien de ce que j’avais vu depuis mon départ d’Angleterre. Du haut de la colline où nous étions, on aperçoit une étendue de pays de plusieurs milles de rayon ; et du nord au sud, de l’est à l’ouest, jusqu’à la mer qui borne l’horizon, ce ne sont que terres cultivées. À trente milles de là, les brumes d’une grande ville indiquent l’emplacement d’Adélaïde, et de tous côtés les flancs émaillés des légères collines, les clôtures qui s’étendent dans la plaine, les jardins bordés de haies, les vergers plantureux, les habitations confortables signalent la présence d’une race agricole active et industrieuse, qui a su échapper aux griffes du plus détestable des propriétaires, le gouvernement. Là des moissons verdoyantes dont la tendre coloration contraste avec les blondissantes céréales qui, semées en hiver, se parent pour la moisson prochaine ; ici un champ fraîchement labouré dont les teintes sombres décèlent la richesse du sol ; plus loin, des prés, des foins en meules embaument l’air, tout, en un mot, révèle un grand pays agricole.

Depuis longtemps mon regard ne s’était pas reposé sur une aussi grande étendue de terres cultivées. Ce fut comme la réalisation d’un rêve ; car, à Sydney, pendant des années, je m’étais efforcé, dans mon humble sphère, d’attirer l’attention de mes voisins sur la possibilité d’entrer dans cette voie, avec un pays aussi plein de ressources que le leur, et de leur démontrer la nécessité d’en finir avec le vieux système de monopole et d’exiger du sol le meilleur produit possible. J’appuyais surtout, de mon mieux, sur la culture variée, l’extension des terres cultivées, du jardinage, le développement des vergers, les essais de viticulture ; mais en vain, et ici je trouvais mes idées réalisées et les résultats pratiques de tout ce que j’avais prêché théoriquement.

À partir de ce jour, je visitai les localités les plus intéressantes de l’Australie méridionale, et rien n’est venu détruire cette première impression. C’est l’Angleterre, mais l’Angleterre sans ses monstrueuses anomalies d’extravagantes richesses, auxquelles des misères profondes servent de cadre. C’est l’Angleterre avec un beau climat, un sol vierge, avec la liberté sans ses antiques abus ; c’est l’Angleterre avec des institutions plus généreuses, avec des citoyens plus libres.

Le système territorial de l’Australie du sud est basé sur une division de quatre-vingts acres, servant de base fixe, et toute la superficie du pays est divisée en lots de même grandeur. C’est une étendue bien calculée. Un bon agriculteur sait qu’avec le travail intelligent d’une année il peut mettre de côté deux mille francs, et ses efforts tendent à réaliser cette somme.

Chaque jour il apprend à utiliser ses connaissances agronomiques dans un nouveau climat, et il connaît de mieux en mieux le terrain où il pourra fonder un établissement. Après l’acquisition de la terre il peut encore avoir besoin de travailler afin d’enclore son terrain, d’acheter un attelage de bœufs ou une paire de chevaux. Enfin il arrive à posséder un établissement à lui, et il se met courageusement à l’œuvre pour devenir un fermier indépendant. La première récolte lui laissera probablement des ressources, la deuxième le mettra à même d’acheter une ou deux parcelles attenantes à la sienne, et ainsi, graduellement, il arrive à être un propriétaire aisé et en agriculteur considérable, sans toutefois que la progression lui tourne la tête et l’entraîne à des erreurs, mais cependant avec assez de rapidité pour soutenir son énergie. C’est ainsi que le nombre croissant de pareils hommes a amené l’Australie méridionale au point de prospérité où elle se trouve, et l’on pourra avantageusement comparer cette race d’industrieux travailleurs avec n’importe quelle autre au monde. Pour démontrer la différence de cette colonie avec Victoria sa voisine, il me suffira de citer la dépense d’hôtel que je fis la dernière fois que je fus à Melbourne, où je payais cinq francs soixante centimes pour chaque repas. Dans le premier hôtel de l’Australie du sud, je payai deux francs cinquante centimes pour un repas plus abondant et de meilleure qualité.

Deux choses me frappèrent dans mes excursions au