Page:Le Tour du monde - 02.djvu/196

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nous entrions dans la vallée de Tanesof, que nous vîmes se dresser en face de nous, le mont Iniden ou des Démons, admirablement éclairé par le soleil couchant ; sa cime perpendiculaire, avec ses tours et ses créneaux, se découpait en blanc sur le ciel, au-dessus d’une base puissante dont on distinguait les strastes de marne rouge. À l’ouest, l’horizon était formé par des dunes que le vent balayait, et dont il répandait le sable sur toute la surface du val.

« Le lendemain matin, nous marchions vers la montagne enchantée, que les récits fantastiques de nos gens revêtaient d’un incroyable prestige. Malgré les avertissements des Touaregs, ou peut-être parce qu’ils me disaient de ne pas risquer ma vie en escaladant ce palais des démons, je résolus de tenter cette entreprise sacrilége. Ne pouvant obtenir de guides, je partis seul pour ce séjour infernal, bien persuadé que c’était autrefois un lieu consacré au culte, et que j’y trouverais des sculptures, des inscriptions curieuses. Malheureusement je n’emportais avec moi que du biscuit et des dattes, la plus mauvaise nourriture qu’on puisse avoir quand l’eau vient à manquer. Je franchis les dunes, j’entrai dans une plaine entièrement nue, jonchée de cailloux noirs et d’où surgissaient des monticules de même couleur ; je traversai le lit d’un torrent tapissé d’herbes, et qui allait rejoindre la vallée ; c’était l’asile d’un couple d’antilopes qui, sans doute inquiètes pour leurs petits, ne s’éloignèrent pas à mon approche, mais dressèrent la tête et me regardèrent en agitant la queue. Je me trouvai en face d’un ravin, le palais enchanté semblait fuir ; je changeai de direction, un précipice me barra le passage. Le soleil était dans toute son ardeur, et ce fut accablé de fatigue que j’atteignis le sommet de la montagne, dont le faîte crénelé, seulement de quelques pieds de large, ne m’offrit ni sculptures ni inscriptions.

Mourzouk, capitale du Fezzan. — Dessin de Rouargue d’après Barth (premier volume).

« La vue s’étendait au loin ; mais je cherchai vainement à découvrir la caravane. J’avais faim, j’avais soif ; mes dattes et mon biscuit n’étaient pas mangeables, et ma provision d’eau était si restreinte, que j’en bus seulement une gorgée pour ne pas la tarir. Malgré ma faiblesse il fallut bien redescendre, et je n’avais plus d’eau quand je me retrouvai dans la plaine. Je marchai quelque temps et finis par ne plus savoir la direction qu’il fallait prendre. Je déchargeai mon pistolet et ne reçus pas de réponse. Je m’égarai davantage ; il y avait de l’herbe à l’endroit où j’étais arrivé ; j’aperçus de petites cases fixées aux branches d’un tamarix ; la joie au cœur, je m’empressai de les atteindre : elles étaient désertes. Je vis passer au loin une file de chameaux ; c’était une illusion : j’avais la fièvre. Vint la nuit, un feu brilla dans l’ombre, ce devait être le prix de la caravane ; je déchargeai de nouveau mon pistolet, pas de réponse. La flamme s’élevait toujours vers le ciel, m’indi-