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gorges sinueuses, des bassins fertiles, des pics détachés qui dominent le paysage.

« Le 7 octobre, au départ, nous trouvâmes la vallée Tiggeda qu’animaient, à la fraîcheur du matin, de nombreux vols de pigeons. Une montée rocailleuse est franchie, et nous sommes dans la vallée d’Erazar-en-Asada, bordée à l’est par la masse imposante du Dogem. La végétation tropicale laisse à peine aux chameaux la liberté de se mouvoir ; je retrouve, comme essence dominante, le cucifère que je n’avais pas vu depuis Seloufiet, mais je le revois avec toute l’exubérance qu’il a bientôt lorsqu’on l’abandonne à lui-même ; il est accompagné de mimosas d’espèces nombreuses, entrelacés de grandes lianes qui forment au-dessus d’eux une voûte épaisse.

« Au sortir de la forêt, le sentier gravit des ravins tapissés d’herbe, et nous atteignons le point culminant de la passe, environ sept cent soixante mètres au-dessus du niveau de la mer. Laissant à notre gauche le pic majestueux du Dogem, formé probablement de basalte, ainsi que le groupe entier du Baghzem, nous arrivons dans une plaine caillouteuse couverte d’un épais fourré de mimosas, où l’on trouve la piste fréquente des lions, extrêmement communs dans ces lieux déserts, mais qui, d’après ce que j’ai pu voir, ne sont pas très-féroces.

« Nous entrons dans la vallée de Taghist, jonchée de pierres basaltiques de la grosseur de la tête d’un enfant, et dont l’enceinte rocheuse est complétement dénudée. Mohammed-ben-Abd-el-Kerim, originaire du Touat, et qui introduisit l’islamisme dans la partie centrale du Soudan, a consacré cet endroit lugubre à la prière.

« De ce terrain pierreux, nous passons dans la célèbre vallée d’Auderas, où j’ai vu trois esclaves attelés à une espèce d’araire et conduits, comme des bœufs, par celui qui les avait achetés : C’est, j’imagine, l’endroit le plus méridional de la partie de l’Afrique située au nord de l’équateur, où la charrue soit en usage ; dans toute la Nigritie elle est remplacée par la houe. Le ciel était pur, la vallée, ceinte de coteaux abrupts, ornée de cucifères, garnie d’herbe, fourrée d’arbrisseaux touffus et variés, déployait devant nous sa beauté luxuriante. Ainsi que toutes les vallées qui lui succèdent, le val d’Auderas peut produire non-seulement du millet, mais encore du froment, de la vigne, des dattes, et à peu près tous les genres de légumes ; on dit qu’il renferme cinquante jardins près du village d’Ifarghen. Il nous fallut trop tôt quitter cet endroit délicieux, gravir des rochers, suivre un chemin inégal, longer la vallée de Téloua, qui revêt une légère croûte de natron, l’un des articles importants du commerce nigritien.

« Nous campons dans la vallée Boudde, où je rencontre, pour la première fois, le pennisetum distichum, plante dont les aiguilles vous lardent, et sont, avec les fourmis, pour celui qui voyage au centre de l’Afrique, l’une des incommodités les plus communes et les plus irritantes. Il faut un instrument pour retirer ces dards empennés qui s’insinuent dans la chair, où ils causeraient des plaies douloureuses si on ne les en arrachait ; aussi, malgré leur peu de délicatesse, les nomades indigènes ne sont-ils jamais sans leurs pinces. Nous fuyons cette peste, et nous montons pendant une heure avant de gagner le plateau caillouteux où la ville d’Agadez est construite. Le soir, j’étendais mon tapis dans la maison qu’y possédait An-nour, et bientôt, plongé dans un profond sommeil, je rêvai des découvertes que me promettait la zone mystérieuse où j’allais pénétrer. »


Agadez. — Sa décadence. — Entrevue de Barth et du sultan. — Pouvoir despotique. — Coup d’œil sur les mœurs. — Habitat de la girafe. — Le Soudan ; champ du Damergou. — Architecture. — Katchéna ; Barth est prisonnier. — Pénurie d’argent. — Kano. — Son aspect, son industrie, sa population. — De Kano à Kouka. — Mort de Richardson.

Agadez est construite sur un terrain plat, où s’élèvent des tas d’immondices, accumulés par la négligence des habitants. Siége autrefois d’un commerce considérable, qui s’est déplacé vers la fin du siècle dernier, à l’époque de la prise de Gogo par les Touaregs, sa population est tombée de soixante mille âmes à sept ou huit mille. La plupart des maisons sont en ruines ; les vingt ou vingt-cinq habitations qui composent le palais sont elles-mêmes délabrées ; des soixante-dix mosquées d’autrefois il n’en reste plus que dix, et les nombreux vautours que l’on voit sur le mur d’enceinte ne perchent le plus souvent que sur des décombres. Pas un riche commerçant ne visite le marché d’Agadez, dont les Touati sont restés en possession ; gens de petit négoce qui attendent, pour troquer leur mince pacotille, que le millet soit à bas prix, afin de l’écouler en détail quand la valeur s’en accroît. Pas de numéraire, pas de cauris ; du calicot, des tuniques servent à l’échange, surtout du millet, qui, à vrai dire, est la monnaie courante, et a remplacé l’or qui venait autrefois de Gogo.

Le lendemain de son arrivée, Barth se dirigea vers le palais, dont les bâtiments réservés au prince étaient du moins en bon état, et fut introduit dans une salle de douze à quinze mètres carrés, au plafond bas, formé de nattes posées sur des branches, que soutenaient quatre colonnes massives en pisé. Entre l’une de ces colonnes et l’angle du mur était assis Abd-el-Kader, le sultan, homme vigoureux d’une cinquantaine d’années, indiquant par la couleur de sa robe grise, et celle de l’écharpe blanche dont le bas de sa figure était voilé, qu’il n’appartenait pas à la race des Touaregs.

Bien qu’il ne connût pas l’Angleterre, même de nom, le sultan accueillit le docteur avec bienveillance, lui exprima son indignation des traitements que la caravane avait subis à la frontière d’Ahir, et plus tard lui envoya des lettres qui le recommandaient aux gouverneurs de Kano, de Katchéna et de Daoura. Quant à celle que Barth lui avait demandée pour le gouvernement anglais, et où il aurait assuré sa protection aux Européens qui, à l’avenir, se rendraient au Soudan, il ne tint pas sa promesse, soit qu’il n’eût pas compris ce que désirait Barth, soit que, dans sa position précaire, il ne se crût pas assez fort pour établir des relations avec les chrétiens. Déposé quelques années auparavant, remonté sur le trône depuis peu, il devait, deux ans plus