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tait sa situation remarquable, elle resterait inaperçue. Malgré mon état de faiblesse, je voulus gravir la montagne, ascension difficile à cause de l’escarpement du roc, mais qui méritait d’être essayée. Quelques indigènes me suivirent, et bientôt je fus accompagné de la plus grande partie du village. Dans le nombre étaient deux jeunes Foullanes, qui tout d’abord m’avaient regardé avec une extrême bienveillance ; l’une avait quinze ans, l’autre neuf. Elles étaient couvertes d’une espèce de tunique montante ; les païens, au contraire, bien qu’ils eussent fait leur toilette, ne portaient qu’une bande de cuir passée entre les jambes, à laquelle se rattachait une feuille ; les femmes avaient, en outre, sous la lèvre inférieure l’ornement du métal que l’on voit chez les Marghis, dont ces tribus partagent les croyances religieuses et certainement l’origine.

« Parvenu au sommet de la montagne, j’écrivais sous la dictée des indigènes un vocabulaire de leur dialecte, puis je revins à ma case ; mais je n’y eus pas de repos : ces gens simples avaient fini par croire que j’étais leur divinité, qui leur consacrait un jour par pitié pour leurs malheurs, et c’était à qui solliciterait ma bénédiction. La nuit vint me débarrasser de la foule, mais non des deux jeunes filles, dont l’aînée me demanda en mariage dans les termes les plus nets. La pauvre créature avait raison de se mettre en quête d’un mari, car ses quinze printemps équivalaient aux vingt-cinq étés d’une Européenne.

Village mosgou. — Dessin de Rouargue d’après Barth (troisième volume).

« Le lendemain nous poursuivions notre route au milieu des pâturages boisés, de vastes champs de millet et d’arachides, qui sont pour les habitants de Ségéro ce que la pomme de terre est dans certaines parties de l’Europe. J’aime, le matin, ou après le repos du soir, à croquer ces pistaches souterraines, mais je n’ai jamais pu avaler plus de deux ou trois cuillères de la bouillie qu’on fait avec ces amandes. Il faut dire que les cuillères des indigènes sont de la dimension d’un bol. Ici la nature pourvoit à tous les besoins : les plats, les bouteilles et les verres poussent sur les arbres ; le riz croît spontanément dans la forêt, et le sol produit sans labeur, non-seulement du grain et des arachides, mais du manioc, des patates douces et une grande variété de calebasses. Nous passons à Saraou, puis à Bélem, où j’ai la visite de trois adolescents d’une grande beauté de corps et de visage. Chose remarquable, les Foullanes sont très-beaux jusqu’à leur vingtième année ; leur physionomie prend ensuite quelque chose du singe, qui défigure leurs traits, véritablement circadiens ; les femmes sont bien plus longtemps belles.

La forêt et les champs cultivés se succèdent jusqu’au bord d’un petit lac entouré de grandes herbes, foulées de tous côtés par les hippopotames. Les nuages s’accumu-