Page:Le Tour du monde - 02.djvu/224

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Une heure après, le sultan me faisait dire qu’il avait ignoré tout ce que j’avais souffert ; et comme preuve de sa bienveillance à mon égard, il m’envoyait un mouton, du beurre et du grain.

C’était le 6 juillet, l’un des jours les plus heureux de ma vie : le soir, on m’apportait des dépêches de Londres qui, après quinze mois de misère et d’anxiété, m’autorisaient à poursuivre nos explorations, et me fournissaient les moyens d’atteindre le but qui m’était proposé. En outre, il m’arrivait une quantité de lettres particulières où la valeur de mes efforts était reconnue ; et je recevais ainsi la plus douce récompense qu’un voyageur puisse espérer.

« Le lendemain, un officier du palais vint me prendre pour me conduire à l’audience du sultan. Introduit dans une cour intérieure du palais, j’y trouvai deux longues files de courtisans assis devant une porte de roseaux couverte par un rideau de soie. Invité à prendre place au milieu de l’assemblée, et ne sachant à qui m’adresser, je demandai tout haut si le sultan Abd-el-Kader était présent. Aussitôt une voix claire, partant de derrière le rideau, répondit affirmativement. Comprenant que cette voix était celle du sultan lui-même, je débitai en arabe mon compliment officiel, que Faki-Sambo, placé à mes côtés, traduisait, phrase par phrase, en langue du pays.

Une razzia à Barea (Mosgou). — Dessin de Rouargue d’après Barth (troisième volume).

« Ayant d’abord répété ce que tant de fois déjà j’avais dit aux autres princes du Soudan, je rappelai qu’au temps de la génération précédente un de mes compatriotes, Raiz-Khalid (le major Denham), s’était proposé de venir offrir ses hommages au sultan alors régnant, mais que les hostilités qui existaient à cette époque entre le Bornou et le Baghirmi l’avaient empêché de réaliser son projet. J’ajoutai que malgré mes intentions amicales, j’avais été fort mal traité dans ce dernier pays, où l’on avait méconnu mon caractère d’envoyé d’une puissance étrangère et amie. Je conclus en déclarant que, si on ne s’y était opposé, mon plus vif désir aurait été d’être le témoin des grandes choses faites par S. M. Abd-el-Kader pendant sa dernière expédition. Ce discours achevé, je fis apporter les présents et j’en expliquai l’usage ; puis profitant de l’impression favorable que leur vue produisait sur mon auditoire, je réclamai de nouveau l’autorisation de retourner à Kouka, où me rappelaient de puissants motifs. Je me retirai avec une réponse favorable.

« Deux messagers royaux vinrent le lendemain me dire que le sultan me priait d’accepter, comme souvenir de sa part, une jeune esclave dont ils me décrivirent les charmes en termes très-chaleureux. Abd-el-Kader mettait en même temps à ma disposition un chameau et deux cavaliers pour me conduire au Bornou. En acceptant cette escorte avec reconnaissance, je déclarai aux deux hérauts que, bien que mon existence solitaire me fût souvent pénible, ma religion et les lois de mon pays me défendaient de recevoir une esclave en cadeau. En échange de cette gracieuseté, je demandai seulement quelques échantillons des produits du pays. Cinq semaines après je rentrais à Kouka. »

Traduit par Mme  H. Loreau.

(La fin à la prochaine livraison.)