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Koukaoua. Je lui dis alors que j’avais deux choses à lui demander : sa protection pour me rendre à Tembouctou, et une lettre de franchise garantissant la vie et les biens des Anglais qui visiteraient ses États. Il accueillit ma double requête avec faveur, me dit qu’il ne pensait qu’au bien de l’humanité, et, par conséquent, n’avait d’autre désir que de rapprocher les peuples. Le lendemain, je doublai les présents que je lui avais faits la veille, et je pus distinguer ses traits qui m’avaient échappé dans l’ombre. C’était un homme robuste, de taille moyenne, ayant la face ronde et grasse de sa mère (une esclave du Haoussa), et non pas le noble visage du grand Mohammed Bello, dont il reniait les habitudes, car il me reçut la figure découverte, ce que n’aurait pas fait son père, qui conservait son litham jusqu’au fond de ses appartements.

« Le 4 avril, en possession de la lettre de franchise dont j’avais dicté les termes, et de cent mille cauris que le prince m’avait fait remettre pour me défrayer en son absence, je m’établissais à Vourno, séjour ordinaire de l’émir. Ma surprise fut grande en voyant le mauvais état et la malpropreté de la ville, que traverse un cloaque plus dégoûtant même que tous ceux d’Italie. Hors des murs, le Goulbi-n-rima formait plusieurs bassins d’eau croupissante au milieu d’une plaine où mes chameaux cherchèrent vainement pâture. Les frontières de trois provinces : le Kebbi, l’Adar et le Gober, dont Vourno fait partie, se rejoignent dans cette plaine aride, qui après la saison pluvieuse est d’un aspect tout différent.

Un des monts Homboris. — Dessin de Lancelot d’après Barth (quatrième volume).

« La ville devenait de plus en plus déserte ; chaque jour quelques notables allaient retrouver l’émir ; mais ces guerriers, pour la plupart, ne songent qu’à leur bien-être, et vendraient leurs armes pour une poignée de noix de kola. Je n’ai vu, dans aucun lieu de la Nigritie moins d’ardeur belliqueuse, et plus de découragement ; presque tous les dignitaires semblent persuadés que leur règne touche à sa fin ; peut-être ont-ils raison. Le 7 avril, les rebelles avaient fait une razzia entre Gando et Sokoto, et quelques jours après, c’était Gondi qu’atttaquaient les révoltés. Pendant ce temps-là, au lieu de fondre sur les Gobéraouas, l’émir s’enfermait à Kauri-Namoda, refusant la bataille qui lui était offerte ; et les Azénas assiégeaient une ville à un jour de marche de ces conquérants dégénérés.

« La situation n’était pas moins déplorable à l’occident qu’à l’orient ; et si l’on considère la faiblesse d’Aliyou, l’audace des gouverneurs insoumis, la rivalité des chefs de Sokoto et de Gando, la révolte du Kebbi du Zaberma, du Dendina, qui coupait la route du fleuve, on comprendra que les marchands arabes aient déclaré que mon voyage était impossible. Mais un Européen peut accomplir ce qui paraît impraticable aux indigènes ; et ceux