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du Touareg. Il n’est pas parti que la maison est encombrée de gens qui arrivent de Tembouctou, à pied, à cheval, portant des robes bleues, serrées à la taille par une draperie, des culottes courtes et des chapeaux de paille terminés en pointe. Tous ont des lances, quelques-uns des épées et des mousquets ; ils s’asseyent dans la cour, remplissent les chambres, se regardent, et se demandent qui je puis être. Deux cents de ces individus passent chez moi dans le courant de la journée ; et le soir, l’émissaire que j’avais envoyé à Tembouctou revient avec Sidi Alaouate, l’un des frères du cheik. On lui a confié que je suis chrétien, mais sous la protection toute spéciale du souverain de Stamboul. Par malheur je n’ai d’autre preuve de cette assertion qu’un vieux firman, qui date de mon premier séjour en Égypte, et n’a aucun rapport avec mon voyage actuel ; néanmoins l’entrevue n’a rien de désagréable.

Arrivée à Tembouctou. — Dessin de Lancelot d’après Barth (cinquième volume).

« Le lendemain nous franchissons les dunes qui s’élèvent derrière Kabara ; l’aridité des lieux contraste d’une manière frappante avec la fertilité des bords du fleuve. C’est un désert, infecté par les Touaregs, qui deux jours avant y ont assassiné trois négociants du Touat. Le peu de sécurité de la route est tellement avéré, qu’un hallier, situé à mi-chemin, porte le nom significatif de : Il n’entend pas, c’est-à-dire qu’il est sourd aux cris de la victime. Nous laissons à notre gauche l’arbre du Ouéli-Salah ; un mimosa que les indigènes ont couvert de haillons dans l’espoir que le saint les remplacera par des habits neufs. Nous approchons de Tembouctou ; le ciel est nuageux, l’atmosphère pleine de sable, et la ville se distingue à peine des décombres qui l’entourent ; mais ce n’est pas le moment d’en étudier l’aspect : une députation des habitants se dirige vers moi, pour me souhaiter la bienvenue. Il faut payer d’audace, je mets mon cheval au galop, et vais à leur rencontre. L’un d’eux m’adresse la parole en turc ; j’ai presque oublié cette langue, que je dois savoir, moi, prétendu Syrien ; cependant je trouve quelques mots à répondre, et j’évite les questions de l’indiscret en entrant dans la ville. Je laisse à ma gauche une rangée de cases malpropres, et je m’engage dans des ruelles qui permettent tout au plus à deux chevaux de passer de front ; mais le quartier populeux de Sané-Goungou m’étonne par ses maisons à deux étages, dont la façade vise à l’ornementation. Nous prenons à l’ouest, et, passant devant la demeure du cheik, nous entrons en face dans celle qui nous est destinée.

« J’avais atteint mon but ; mais l’inquiétude et la fatigue m’avaient épuisé, et la fièvre me saisit immédiatement. Néanmoins l’énergie et le sang-froid étaient plus nécessaires que jamais ; le bruit courait déjà qu’Hammadi, le rival d’El Bakay, avait informé les Foullanes de la présence d’un chrétien dans la ville. Le cheik était absent ; son frère, qui m’avait promis son appui, non sa-