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enchantées, des dragons, des esprits (hàts), des chariots volants, etc. Ces marionnettes jouent souvent aussi des mystères qui se rapportent à l’histoire de Gautama, et qu’on ne pourrait laisser représenter par des acteurs.


Sources de naphte ; leur exploitation. — Un monastère et ses habitants.

La ville de Ye-nan-Gyong, que nous atteignîmes le 13, révèle la nature de son industrie et à la vue et à l’odorat ; on y sent partout l’odeur nauséabonde du pétrole ; la plage est couverte de vases de terre qui ruissellent d’huile ; de toutes parts on voit fumer des poteries. Nous montâmes sur les collines qui entourent la ville ; un sol de sable ou de pierre, à peine assez d’herbe pour ne pas accuser une stérilité absolue, çà et là quelques euphorbes rabougris, du bois pétrifié en abondance, tel est l’aspect désolé du pays.

Le 15 août fut consacré à visiter les mines ; nos chevaux n’étaient pas mauvais ; mais je n’en puis dire autant de leur harnachement. Après avoir chevauché pendant trois milles (cinq kilomètres) à travers des ravins et des collines escarpées de grès en pleine désagrégation, nous arrivâmes sur une hauteur au centre de l’exploitation. c’est un plateau irrégulier qui forme une espèce de péninsule au milieu des ravins.

Les puits sont, dit-on, au nombre de cent ; mais il en est qui sont abandonnés. Leur profondeur est variable, suivant qu’ils sont percés à la partie supérieure du plateau ou sur ses flancs. Nous en avons mesuré plusieurs à l’aide de longues cordes qui servent à puiser l’huile, et nous avons trouvé cinquante-quatre, cinquante-sept, quatre-vingt-un et jusqu’à quatre-vingt-onze mètres. Cette exploitation occupe une surface d’environ deux cent soixante hectares.

Un treuil grossier, monté sur un tronc d’arbre, posé lui-même sur des branches fourchues, est tout le matériel employé. On laisse descendre un pot de terre, il se remplit d’huile, puis un ouvrier, homme ou femme, tirant la corde, descend la pente de la colline jusqu’à ce que le vase arrive à l’orifice du puits. Les Birmans se servent de cette huile pour l’éclairage ; on l’emploie aussi pour préserver les bois de construction des atteintes des insectes ; c’est souvent même un médicament. Ce pétrole, qui depuis quelques années est largement importé en Europe, sert à l’éclairage, au graissage des machines, et la substance solide est employée à la fabrication des bougies.

Cette huile, de couleur verdâtre, a la consistance de la mélasse ; son odeur n’est pas désagréable quand on est en plein air, et qu’elle est en petite quantité.

Dagobah ou pagode en forme de cloche.

Le travail dans ces puits, d’où s’échappent des gaz délétères, n’est pas sans danger, surtout quand on approche du niveau de l’huile. Le capitaine Macleod, qui vit travailler au percement de l’un d’eux, rapporte que les ouvriers ne restent au fond du puits que de quatorze à vingt-huit secondes ; encore en sortent-ils très-épuisés.

Cette exploitation fournit par mois vingt-sept mille viss (quarante-cinq mille kilogrammes de pétrole), il en revient mille au roi, mille au seigneur du district, et environ neuf mille aux ouvriers. Par suite de la demande du marché européen, cette substance vaut actuellement, à Londres, de mille à onze cents francs la tonne. La production totale annuelle de tous les puits, y compris ceux de la région sud, est d’environ douze mille tonnes.

Dans la soirée j’allai avec le major Phayre faire une promenade dans les environs : un chemin bien entretenu nous conduisit, à travers des collines arides, jusqu’à un petit vallon ombreux s’ouvrant sur la rivière ; il avait son monastère et sa pagode. Les écoliers du monastère s’attroupant autour de nous, un vieux poon-gyi[1] vint sous le zayat[2] comme s’il voulait nous parler. Ces moines n’adressent jamais la parole les premiers : c’est la seule classe dans le Pégu avec laquelle il soit agréable de parler, parce qu’ils ne sont jamais quémandeurs.

Nous invitâmes le vieux poon-gyi à venir visiter les steamers ; mais il nous refusa en lorgnant soupçonneusement un avocat de Penang (un bâton), que l’un de nous avait à la main. « Je crains d’être battu, » nous dit-il.

Ce peuple semble croire que parler birman implique une communauté de foi avec eux. On demandait invariablement à l’ambassadeur : « Est-ce que vous adorez les pagodes ? » Comme en parlant au poon-gyi il avait em-

  1. Poon-gyi, grande gloire, nom qui, dans la Birmanie, sert à désigner les prêtres de Bouddha.
  2. Zayat, espèce de portique ou d’abri public, qui, servant aux voyageurs, aux promeneurs, etc., se trouve dans presque toutes les pagodes.