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autant ; puis, à mesure que nous approchâmes de la grille intérieure, ils firent quatre fois le shikho (acte de soumission qui s’exécute en mettant les mains sur le front et en inclinant la tête jusqu’à terre), nous engageant encore à les imiter : second refus de notre part.

Arrivés enfin à la salle d’audience, nous dûmes laisser nos souliers à la porte.

Les longues ailes de cette salle ressemblaient aux transepts d’une cathédrale. Devant nous s’étendait ce que nous pouvions considérer comme le chœur, où, au lieu d’un autel, se trouvait le trône, placé sous la grande flèche aux étages sans nombre qu’on aperçoit de tous les côtés de la ville. Cette espèce de chœur est entouré d’immenses colonnes, dont la base est recouverte de laque et d’ornements rouges. Il y a aussi des rangs de colonnes le long des transepts ; à part la base des colonnes, fûts, chapiteaux, panneaux, tout ruisselle de dorures.

Le trône ressemble exactement à ceux qui, dans les temples, supportent les idoles de Gautama. Sa forme singulière rappelle assez deux triangles réunis par leur sommet : ces deux triangles représentent le feu et l’eau qui, dans la cosmogonie bouddhiste, sont les symboles de la destruction et de la régénération. Le mortel privilégié qui siége sur un trône de ce genre représente donc le maître de l’univers : telle est la modeste prétention du souverain d’Ava.

Ce trône, auquel le roi arrive par une porte de treillis doré, est garni de coussins et de carreaux de velours écarlate : c’est une espèce de mosaïque d’or, d’argent et de fragments de glaces. Tout autour se trouvent quelques niches, où l’on voit des statues représentant, dit-on, les progéniteurs de la race humaine, puis cinq bâtons dorés avec des pennons, autres emblèmes royaux.

Nous étions accroupis sur des tapis anglais d’Axminster ; le reste de la salle était simplement recouvert de nattes ; seulement, plusieurs hauts dignitaires avaient leurs tapis particuliers. Il n’y avait personne devant nous, excepté une double rangée de jeunes princes vêtus de brocart d’or et d’argent et de putso (jupons) éclatants. Il y en avait quatre d’un côté, les fils du roi, cinq de l’autre, les fils de l’héritier de la couronne.

Celui-ci, l’Ein-she-men lui-même, assis devant eux sur une espèce de litière sculptée, était vêtu de brocart d’or ; sa mitre ressemblait à celle des autres officiers, elle était seulement beaucoup plus riche et couverte de pierreries. Il ne se tourna jamais vers nous, mais l’usage fréquent qu’il faisait d’un miroir témoignait assez de sa curio-