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il nous aurait fait face et nous aurait poursuivis ; qu’il valait donc mieux l’avoir laissé aller paisiblement. L’animal avait bien trois mètres de longueur.


Les Shans et autres peuples indigènes du royaume d’Ava.

Ma seconde excursion fut dirigée au sud-est de la capitale, sur la frontière des petits États shans, tributaires d’Ava.

Les Shans ou Tais, comme ils se nomment eux-mêmes sont, de toutes les races indo-chinoises, la plus répandue et probablement la plus nombreuse. Entourant les Birmans du nord-ouest au sud-est, ils forment un chaînon continu depuis les confins du Munnipour (si tant est que les habitants de cette vallée ne soient pas de la même race) jusqu’au cœur du Yunan, et depuis la vallée d’Assam jusqu’à Bankok et à Cambodje. Partout ils professent le bouddhisme, partout ils ont atteint à un degré de civilisation assez élevé, et partout ils parlent une même langue sans grandes variantes, circonstance remarquable au milieu de cette diversité d’idiomes que l’on trouve parmi tant d’autres tribus, en dépit du voisinage et de la parenté. Cette identité caractéristique dans la langue des Shans, tendrait à prouver qu’il y a longtemps qu’ils ont atteint le degré de civilisation où ils sont arrivés, et que jadis ils ont dû constituer un peuple homogène, avant leur dispersion.

Les traditions siamoises, aussi bien que celles des Shans septentrionaux, ont gardé le souvenir d’un ancien royaume considérable fondé par leur race, au nord du présent empire birman, et le nom de « Grands-Tais » appliqué au peuple de ces pays vient corroborer la tradition. Des germes de désunion ont dû briser l’unité de cette race, la fractionner en petites principautés, et le royaume de Siam renferme peut-être, à cette heure, le seul État indépendant de cette famille. Tous les autres sont tributaires d’Ava, de la Chine, de la Cochinchine ou de Siam.

Les États, dont je parlerai sommairement, occupent une étendue de terrain que l’on peut comprendre en masse entre le quatre-vingt-dix-septième et le cent unième méridien, le vingt-quatrième et le vingtième degré de latitude. Ce territoire se termine à l’ouest par la chaîne qui forme la frontière orientale de la Birmanie pure. À l’est, il est borné par le Mekhong ou grande rivière de Cambodje ; au nord, par la vice-royauté de Yunan : il comprend les Koshanpris ou neuf États shans qui, successivement, ont passé sous la domination des Chinois et des Birmans, et qui maintenant appartiennent aux premiers. Au sud, il joint, pendant quelque distance, le territoire des Karens rouges, et, à partir de là, le Mekhong forme la frontière des principautés tributaires de Siam.

La suzeraineté des Birmans est plus ou moins reconnue dans ces pays ; dans les États contigus à la Birmanie propre, c’est une réalité active et tyrannique ; vers l’est elle tend à se relâcher, et vers l’extrême orient et le nord-est, bien que ces États payent hommage à Ava, l’influence chinoise prédomine.

Toutes ces contrées sont sillonnées de chaînes de montagnes, dont la direction est nord et sud, comme celles des principales rivières, le Salouen et le Mekhong. Le Menam, ou rivière de Siam, prend sa source dans ces régions. Le caractère général de ces fleuves est torrentiel ; ils sont profondément encaissés et sujets aux débordements.

Les montagnes sont habitées par des tribus plus ou moins sauvages et connues sous plusieurs dénominations. La plus considérable, peut-être, est celle des Laouos, que les Shans considèrent comme les restes sauvages des anciens aborigènes. On prétend que leur langue ne ressemble aucunement à celle des Shans. Quelque barbares qu’on les dise, ils paraissent adonnés à l’agriculture, soignant fort bien l’indigo, la canne à sucre et le coton, que leur achètent les marchands chinois du Kiang-hung, du Kiang-tung et des États limitrophes. Ils travaillent le fer, sont bons forgerons, et fabriquent des dhas ou sabres et des fusils à mèches. Ils sont de taille médiocre, mal bâtis et laids ; ils ont le nez plat, le front bas et le ventre gros. Ces caractères feraient penser que les Laouos ne sont que le type dégénéré de la race des Shans, telle qu’elle existait avant d’avoir été modifiée par l’action de la civilisation bouddhiste. Les tribus les plus considérables, les plus sauvages et les plus indépendantes de ces Laouos, se trouvent dans la partie nord et ouest de Muang-Lem. Ils ne permettent à personne de pénétrer chez eux ; et on dit qu’ils guettent, saisissent et décapitent les voyageurs, pour emporter leurs têtes en manière de trophées, comme font les Garows, les Kookis et autres sauvages, voisins de notre frontière du Sylhet.

La contrée habitée par les Karen-nis ou Karens rouges, qui se sont maintenus indépendants des Birmans et des Shans, comprend cette masse montagneuse qui sépare le Sitang du Salouen et s’étend entre la latitude de Toungoo et le vingtième degré trente minutes. On les croit de race shanne ; cependant il ne m’a guère été possible de trouver d’autres preuves de cette parenté, que l’usage qu’ils font de la braie pour vêtement. On attribue leur dénomination de rouges à leur teint, qui, étant naturellement clair, rougit plus qu’il ne brunit à l’action du hâle ; mais je crois que la couleur de leurs pantalons

    corde assez avec le caractère générique des hamadryades pour m’autoriser à le regarder comme une variété du genre. « L’hamadryade, dit le docteur Crantor, est excessivement farouche, toujours prête à se jeter sur quiconque l’attaque et à poursuivre tout ce qui l’irrite. » C’est là un grand trait d’analogie avec le serpent de Tenasserim. Un Birman fort intelligent m’a raconté qu’un de ses amis étant venu à heurter un jour une nichée de ces serpents, battit immédiatement en retraite, mais il avait été aperçu et la mère furieuse se lança immédiatement à sa poursuite. L’homme s’enfuit de toutes ses forces à travers coteaux, vallons, clairières et halliers ; la terreur lui donnait des ailes. Arrivé sur les bords d’une petite rivière, il n’hésite pas à s’y jeter, dans l’espoir de faire ainsi perdre sa piste à son terrible ennemi. Mais, hélas ! en atteignant la rive opposée, il y retrouve la furieuse hamadryade, la tête haute, les yeux en feu et dilatés par la rage, toute prête enfin à enfoncer ses crochets mortels dans ses chairs palpitantes. Désespéré, il saisit son turban et, par un mouvement instinctif, le lance au reptile, qui, se jetant comme un éclair sur cet objet inanimé, le couvre de furieuses morsures, et trompe ainsi sa colère et sa vengeance ; après quoi il regagne tranquillement son repaire. Mason, Histoire naturelle de la Birmanie, p. 345.)