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douces, timides et indolentes qui se renferment dans les zènanahs de l’Inde, tremblant à la voix ou sous le regard du maître, et n’exerçant sur ses déterminations aucune espèce d’empire. La femme birmane jouit au contraire d’une influence immense. Aux charmes de sa personne, elle unit en général l’énergie de la volonté, et c’est elle, en réalité, qui donne aux mœurs du pays leurs caractères les plus distinctifs. Il suffit d’un désir exprimé par la femme d’un chef de village, pour que le fier montagnard aille porter au loin le pillage et la mort, et dans la capitale même de l’empire on a vu des guerres désastreuses qui n’avaient pas d’autre cause que celle-là.

« La Société des traités religieux fournit ses traités, la Société biblique donne des Bibles, la Société des Missions envoie ses agents et construit des zayats (chapelles du pays) ; mais tout cela en vue des hommes, et qu’en résulte-t-il ? Un Birman entre dans le zayat, écoute, réfléchit, revient encore, puis, après avoir bien pesé ses impressions, il dit un jour à sa famille : « Cette religion est la vérité ; je suis décidé à adorer désormais le Jésus-Christ qu’elle prêche. » Mais à peine a-t-il laissé tomber ces mots, que sa mère se précipite sur lui, lui arrache sa touffe de cheveux, ou menace de se suicider ; sa sœur le maudit, sa maîtresse l’injurie, ou bien, s’il est marié, sa femme lui jette l’enfant qu’elle nourrit, s’enfuit et va chercher ailleurs un autre mari. Nous, chrétiens, nous connaissons les promesses faites à celui qui, pour obéir à l’Évangile, abandonne mère, femme ou enfants, et cependant combien d’hommes parmi nous seraient résolus à confesser toujours Jésus-Christ, au prix de pareils sacrifices ? Bien des Birmans, touchés par la prédication de la vérité, souffriraient, j’en suis sûr, la prison, et monteraient courageusement sur les bûchers plutôt que d’en renier la profession ; mais se peut-il imaginer une épreuve plus intolérable que les persécutions malicieuses et incessantes d’une femme païenne, livrée aux emportements d’une colère qu’aucun frein moral ne vient réprimer ?

Chez les Birmans, les femmes, loin de vivre en recluses, comme dans d’autres contrées de l’Orient, fréquentent tous les lieux de réunion, et il est évident que ce sont elles qui donnent le ton partout. Pleines d’aisance et de grâce, polies, actives et très-rusées, elles exercent, surtout dans leur pays, une sorte de fascination presque irrésistible, et comme cette prépondérance même les rend souverainement hautaines et égoïstes, il est rare qu’elle n’aboutisse pas au mal. Aux régates, aux combats de taureaux, à la table de jeu, la femme tient toujours le premier rang. Elle s’occupe des affaires, elle fait le commerce, elle bâtit des maisons, ou du moins elle dirige toutes les opérations de ce genre ; qu’on juge, d’après cela, du bien que cette partie de la population pourrait faire si son cœur était un jour gagné à la cause de la vérité. La femme peut être appelée l’éducateur du Birman. C’est elle qui apprend à l’enfant tout ce qu’il croit des sorcières et des esprits. C’est elle qui le mène chaque soir chercher dans sa robe du sable pour le porter à la pagode. C’est elle qu’on voit franchissant de longues distances et montant d’interminables escaliers pour déposer son offrande devant les idoles. C’est elle qui foule aux pieds le livre blanc (l’Évangile) et met la feuille de palmier entre les mains de son fils. C’est elle, comme je l’ai déjà dit, qui plus d’une fois a soufflé le feu de la révolte et qui, d’un mot, causera la ruine d’un empire. »


Fêtes birmanes. — Audience de congé. — Refus de signer un traité. — Lettre royale. — Départ d’Amarapoura et retour à Rangoun.

À mon retour, la capitale était animée par les apprêts des fêtes qui se succèdent dans ce moment de l’année, à l’occasion de la fin du carême bouddhiste. On fabriquait dans la ville toutes sortes d’offrandes. Dans les faubourgs, les potiers d’étain confectionnaient des quantités de reliquaires fantastiques et des lanternes énormes, contenant des chandelles de cire de plus de deux pouces d’épaisseur. Les offrandes les plus riches étaient promenées à travers la ville. Ici, un groupe de dévots transportait une gigantesque imitation de feuilles de ces palmiers que les poongys portent comme parasol. Elle était en papier aux couleurs brillantes, ornée de quantité de cahiers de feuilles d’or. Là, un autre groupe voiturait un tabernacle en clinquant, semblable aux tazéeas des mahométans shiites au Mohurrum ; plus loin, un immense dragon de cent pieds de long au moins était très-adroitement manœuvré dans les rues ; il serpentait et rampait, attaquant parfois les passants de ses défenses avec une férocité très-habilement imitée.

Il est peut-être utile de noter, à ce sujet, qu’une des plus grandes fêtes célébrées chez les Birmans tombe le 12 avril, date qui correspond au dernier jour de leur année civile et religieuse.

Pour laver les impuretés du passé et commencer la nouvelle année libre de souillure, le soir du 12 avril, les femmes ont coutume de jeter de l’eau sur chaque homme qu’elles rencontrent, et les hommes ont droit de leur riposter. On peut imaginer si cette licence engendre une gaieté folle, principalement parmi les jeunes femmes qui, armées de longues seringues et de flacons, entreprennent de jeter de l’eau sur chaque homme qui passe, et, à leur tour, reçoivent celle qu’on leur jette avec une parfaite bonne humeur. Mais il est défendu d’employer de l’eau sale, et il n’est personne, homme ou enfant, qui ait le droit de porter les mains sur une femme. Lors même qu’une femme refuserait de prendre part au jeu, elle ne doit point être molestée, car elle est supposée avoir pour excuse la maladie.

Je n’ai pas passé cet anniversaire sur le territoire d’Ava, mais je puis en parler d’après le témoignage de deux Anglais qui vinrent après nous à Amarapoura, et qui furent invités par un des woons à participer chez lui à l’amusement national.

À leur entrée dans la maison du haut et puissant fonctionnaire (un de nos vieux amis), les deux voyageurs reçurent chacun une bouteille d’eau de rose, dont ils versèrent une partie dans les mains de leur hôte, qui la répandit aussitôt sur ses vêtements, de la plus fine mousseline à fleurs. La dame du logis parut alors à la porte,