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Si elle meurt en couches avant le mariage, le père de la défunte exige que l’amant lui paye sa fille. Tout jeune homme se marie dès qu’il a le moyen d’acheter une femme, ce qui lui coûte d’une à dix vaches, et l’épouse est tellement sa propriété qu’il a le droit, en cas d’adultère, de réclamer des dommages-intérêts au séducteur ; toutefois il ne peut vendre sa femme que lorsque l’état de ses affaires l’exige. Après les bacchanales des épousailles, le mari va s’établir chez la nouvelle épouse, jusqu’à ce qu’il lui plaise d’habiter la demeure d’une autre, car la polygamie est générale parmi ceux qui peuvent s’en donner le luxe. On comprend qu’avec de pareilles mœurs les liens de famille soient assez lâches et qu’il y ait peu d’affection entre les époux ; tel revient de la côte chargé d’étoffe, qui refusera un lambeau d’indienne à sa femme ; et celle-ci, malgré sa fortune personnelle, laissera, s’il lui plaît, son mari mourir de faim. Dans la gestion des affaires domestiques, l’homme est chargé des troupeaux et de la basse-cour, la femme des champs et des jardins ; mais chacun des deux cultive sa provision de tabac, ayant peu d’espoir d’en obtenir de son conjoint. Les veuves qui ont quelque fortune la dépensent gaiement à satisfaire leurs caprices les plus extravagants ; elles reçoivent des cadeaux en échange, d’où il résulte que pas un esclave venu de la côte ne possède un chiffon lorsqu’il quitte l’Ounyanyembé.

« Le tembé, remplacé dans l’ouest par la hutte africaine, est l’habitation ordinaire de l’Ounyamouézi oriental. On en trouve de spacieux et d’assez bien construits ; mais aucun n’est d’une propreté satisfaisante. Les murs, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, sont décorés de grandes lignes d’ovales faits avec un mortier de cendre, d’argile rouge, ou de terre noire.

Habitation de Snay ben Amir à Kazeh. — Dessin de Lavieille d’après Burton.

« Les Ouanyamouézi fabriquent avec l’argile de grossières figures d’hommes et de serpents ; on voit aussi dans leurs villages de rudes essais de sculpture, et des croix dans certains districts ; mais ces objets qui au premier abord paraissent être des idoles, ne sont que de pure ornementation. L’ameublement est le même que dans les autres provinces : une couchette, formée de branches dépouillées de leur écorce, soutenues par des fourches et recouvertes de nattes et de peaux de vache, occupe la plus grande partie de la première pièce ; le foyer se trouve vis-à-vis de la porte, et à la muraille sont fixés de grands coffres où l’on renferme le grain ; on y voit en outre des gourdes et de petites caisses de bois blanc suspendues au plafond, des vases de terre noire, de grandes cuillères de bois, des pipes, des nattes et des armes accrochées au tronc brancha d’un arbre placé dans une encoignure à côté des pierres à moudre le grain. Mais ce qui caractérise surtout les villages de la Terre de la Lune, ce sont deux ihouanzas bâtis en général aux deux extrémités du bourg : l’un appartient aux femmes, et l’on ne peut y pénétrer ; l’autre est celui des hommes, et les voyageurs y sont admis.

« L’hiouanza est une case plus grande, plus solidement construite que ses voisines, et dont les murailles sont mieux polies, mieux décorées. Des talismans, suspendus au linteau de la porte, en protègent le soleil. On retrouve à l’intérieur le lit de camp, fait cette fois avec des planches, comme celui de nos corps de garde, les trois cônes du foyer et la pierre à moudre ; des flèches, des lances, des bâtons sont attachés aux solives et remplissent les coins. C’est là que tous les hommes du bourg vont passer leur journée, souvent la nuit, même après leur mariage, et dépensent le temps à jouer, boire, manger,