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heure, selon l’état du ciel, sont généralement d’un vert noir. Il est encaissé entre des rochers aux teintes sombres que dominent : à gauche en montant, la Grande Lance ; à droite, le Colon, dont le sommet a deux mille trois cent quatre-vingt-treize mètres ; en face, les rochers de la Praz, qui ressemblent à d’énormes tours. Aucun arbre ne croît dans ce bassin désolé, où l’on trouve souvent de la neige au milieu de l’été. Toutefois les botanistes récoltent des plantes rares entre les blocs de pierre que les avalanches, les pluies et la foudre ont fait rouler des sommités ou des pentes voisines. Au moment où nous longeâmes la rive droite du lac, longue d’environ quatre cents mètres, aucune brise n’agitait la surface de l’eau, calme et sombre comme celle de la mer Morte ; mais, quand la tourmente descend de la montagne, elle y soulève des vagues énormes qui se brisent avec une fureur inutile contre leurs digues infranchissables. Heureusement, il ne nous fut pas permis d’assister à ce grand et imposant spectacle, car le beau temps nous était nécessaire pour jouir du splendide panorama que nous promettait le sommet de Belledonne.

Sainte-Croix et les ruines du Château de Quint. — Dessin de Karl Girardet d’après M. A. Muston.

À l’extrémité supérieure du lac du Crozet, le sentier que nous avions suivi cesse d’être praticable aux chevaux ; il disparaît même entièrement. On passe où l’on veut, c’est-à-dire où l’on peut, en remontant la gorge sauvage au fond de laquelle les eaux des lacs Domeynon se frayent un passage à travers les rochers jusqu’au lac du Crozet. Après trente minutes de marche environ, on découvre sur la droite un vallon élevé (les pâturages de la Praz), souvent visité par les botanistes, qui sont certains d’y trouver un grand nombre de plantes rares. Mais, quand on veut faire l’ascension de Belledonne, il ne faut pas se laisser séduire par les gazons et les fleurs de ces prairies alpestres. On doit, inclinant sur la gauche, s’élever, de rochers en rochers, au haut de la pente escarpée d’où le torrent se précipite en formant une cascade. Cette chute mérite, à un double titre, d’attirer l’attention. Quand il a plu abondamment sur la montagne ou quand le soleil a fait fondre les neiges, elle offre vraiment un bel aspect ; en outre ses eaux se divisent : une partie va se jeter dans l’Isère par la Combe de Lancey ; l’autre arrose au contraire la vallée de Domène, après avoir formé cette magnifique cascade de l’Oursières que ne manquent pas d’aller admirer tous les baigneurs d’Uriage.

L’escarpement gravi, on se trouve dans un vallon supérieur haut de deux mille deux cent cinquante-trois mètres, et dont le fond est occupé par deux petits lacs, le Petit et le Grand Domeynon. Ces lacs sont souvent gelés, même au milieu de l’été. Des plaques de neige plus ou moins épaisses s’étendent çà et là sur leurs bords, et entre les blocs de roches noirâtres que portent les pentes supérieures. Au nord la Grande Lance dérobe aux Gre-