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« Non, moi plus travailler. »

« Et qui peut blâmer le noir ? il est libre de travailler, libre de ne pas le faire. Il peut vivre sans travail, s’étendre au soleil, sucer des oranges, manger des patates : oui, et peut-être monter à cheval, et porter un gilet blanc, et une chemise empesée le dimanche. Pourquoi se soucierait-il du planteur ? je n’irai pas nettoyer des cannes pour une demi-couronne par jour ; pourquoi lui demanderai-je de le faire ? Je puis vivre sans cela : lui aussi. »

Le noir n’est pas voleur ; les domestiques, qui sont tous noirs, ne dérobent jamais rien. M. Trollope assure qu’on peut impunément laisser sous leur main argent, clefs, tout ce qu’ils considèrent comme une véritable propriété. Mais les fruits de la terre n’ont pas ce caractère à leurs yeux : ils se les approprient sans scrupules et vivent volontiers de maraude. Leurs besoins sont aisément satisfaits, et sans grand préjudice pour personne, sur une terre qui sans culture prodigue à ses habitants les fruits les plus variés et les plus savoureux.

Le caractère de la population nègre a des côtés originaux, qui ne pouvaient échapper à un romancier tel que M. Trollope, habitué à rechercher ce qu’il y a de plus spontané dans les manifestations du cœur humain ; le noir a, si l’on me permet le mot, une drôlerie, un sentiment du pittoresque, une naïveté, une vivacité dans la passion qui le rendent souvent fort intéressant : je ne puis résister au plaisir de citer une anecdote que raconte M. Trollope et où se peignent très-bien tous ces traits particuliers de la race.

Saint-Pierre, à la Martinique. — Dessin de M. de Bérard.

M. Trollope se trouvait dans une petite auberge de Port-Antonio, assis, après dîner, dans le salon.

« Je vis, dit-il, entrer une jeune demoiselle habillée tout de blanc. Elle était, ma foi, fort bien mise, et ni crinoline, ni rubans ne faisaient défaut. Elle appartenait à la race noire, et ses cheveux d’un noir de jais, cotonneux et pourtant ondés, étaient, suivant la mode, peignés en arrière. D’où elle venait et qui elle était, je l’ignorais et ne l’ai jamais appris. Elle était, je pense, en termes familiers dans la maison ; je le présumai en la voyant remuer les livres et les petits ornements sur la table et arranger des tasses et des coquillages sur un rayon.

« Hélas ! » se mit-elle à dire quand je l’eus observée pendant une minute environ.

« Je savais à peine comment l’accoster : et, pourtant il fallait être poli.

« Ah, oui, hélas ! » répéta-t-elle.

« Il était aisé de voir qu’elle avait un chagrin à raconter.

« Madame, lui dis-je (je ne savais, faute d’introduction, comment commencer mon discours), madame, je crains que vous n’ayez quelque chagrin.