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petite rivière et bordée de hautes collines : c’est le sæter de Moen. Rien en général n’est tranquille et poétique comme un sæter ; c’est une petite ferme isolée, inhabitée l’hiver. Là, en été, une famille, quelquefois une jeune fille seule, garde dans les pâturages de la montagne des troupeaux de moutons et de vaches. Le mot sæter implique l’absence de culture ; il n’y a autour de la ferme que de verdoyantes prairies.

Les gens de Moen sont doux et n’ont point l’air heureux. Ils nous vendent une de ces petites broches à pendeloques que, dans les longues veillées d’hiver, les paysans façonnent avec le filigrane naturel des mines de Kongsberg.

Après Moon, commence une longue montée sur un de ces plateaux tourbeux où depuis des siècles les sapins meurent et renaissent de leurs propres débris. Dans ces déserts marécageux, la route dépasse tout ce que l’imagination a jamais pu concevoir d’effrayant pour les voitures : lacets brusques, rochers laissés en travers, ponts vermoulus, pentes à pic, rien n’y manque.

Après une heure et demie de montée on arrive à Bolkesjö. Bolkesjö est une ferme de montagne importante, fondée il y a cent ans et encore tout empreinte du cachet original des vieux guards norvégiens.

Du haut de la montagne au versant de laquelle les dix ou douze bâtiments de la ferme sont semés, on jouit d’une vue magnifique sur le lac Fol qui occupe le fond de la vallée et sur les plateaux boisés de Hofvin, tandis que vers l’ouest se découpe la cime neigeuse du mont Gausta.

À Bolkesjö tout est encore vraiment norvégien. La chambre des hôtes, peinte depuis le parquet jusqu’aux solives d’arabesques rouges et noires aux tons brunis par le temps, est parée de deux vastes alcôves aux lits élevés ; le long des murs sont des bahuts chargés de vieux pots danois à couvercle d’argent et de large vaisselle de cuivre et d’argent ; de vieilles chaises de bois peintes comme les solives et de vénérables tables en racine de bouleau complètent la mise en scène.

C’est dans cet intérieur d’un haut style que le maître de la maison nous sert une façon d’œufs au lard. Toute l’argenterie de la famille est exhibée dans cette occasion solennelle, et s’il est permis de juger, par ce déploiement de luxe, de l’opulence relative de note hôte, il doit être fort à son aise. Les paysans norvégiens, s’ils vivent avec frugalité, aiment à manger dans l’argent le peu qu’ils mangent : le contenant fait valoir le contenu. De là cette quantité de pots, de cuillers, d’assiettes fabriquées avec du métal fortement allié ; le tout orné des dates les plus diverses et des formes les plus capricieuses.

La vallée de Bolkesjö. — Dessin de Lancelot.

Après le déjeuner continue la descente ; la chaleur est toujours très-forte. La route n’en est plus une ; c’est