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minés, une vieille en haillons nous montre le chemin d’un grenier fait de planches disjointes ; deux bottes de paille, dans un cadre de bois, y attendent les rares hôtes de ces lieux ; nous y dormons d’un profond sommeil, à côté de saumons en train de sécher et de morues déjà sèches.

Presque parallèle au Hardanger, le fjord de Samanger s’étend de la paroisse de Sammanger jusqu’à celle de Oos. Deux milles à peine séparent Sammanger de Bergen ; un ballon les traverserait en quelques minutes. L’absence de ce moyen perfectionné de locomotion amène inévitablement le voyageur à rentrer dans le canot national, c’est-à-dire entre deux eaux.

Rien ne repose des impressions désagréables causées par une surabondance d’eau de pluie et d’eau de mer, comme un bon feu, des visages souriants, un gai rayon de soleil par la fenêtre, et aussi la bonne grosse figure du gjœstgifveren de Hatwiken, qui vous assure que, dans une heure, chevaux et charrette vont être prêts, et que le soir vous serez à Bergen.

Je doute que le tronçon de grande route qui court de Oos à Bergen soit très-fréquenté des touristes ; c’est pourtant un beau pays, et le chemin, qui domine de haut les mille replis des fjords, les myriades d’îles dont la côte est ceinte, et au loin la ligne bleue de la grande mer, est certainement un des plus pittoresques de Norvége.

Une noce en Norvége. — Dessin de Pelcoq d’après le peintre norvégien Tiedeman.

De fort loin on voit Bergen, baignée par les eaux de deux fjords, appuyée sur deux fjelds, Bergen, après Drontheim, la cité classique des rois de la mer, vieille comme les antiques Sagas, riche comme la Hanse dont elle fit partie.

Plus près de la ville, des maisons de campagne, ceintes de grands parcs, arrosés par les torrents qui bondissent du fjeld, montrent, par leur élégance presque somptueuse, que les négociants de Bergen courent parfois le monde et rapportent, qui de France, qui d’Angleterre, toutes sortes d’idées heureuses et d’inspirations artistiques. N’en déplaise à Christiania, Bergen, qui n’a ni palais grec, ni église pseudo-byzantine, Bergen, vue des hauteurs du sud, a presque l’air d’une capitale, et c’est avec un certain sentiment de respect pour l’antique métropole commerçante du Nord qu’on pénètre dans l’avenue de frênes qui lui fait une entrée quasi-royale.

Paul Riant.