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jours bêlant ; on le rendait à sa mère et on la dégageait de ses entraves.

Les produits de la laiterie étaient un des revenus de notre station. Dans la bonne saison nous avions jusqu’à cent vingt vaches auxquelles chaque matin notre stockeeper, sa femme et les aînés de leurs enfants faisaient subir l’opération que je viens de décrire. Notre clos fermé n’eut pas pu longtemps nourrir un pareil troupeau, et cependant on ne pouvait chaque matin aller chercher les vaches au loin : voici encore comment on s’y prenait.

Après qu’on avait trait toutes les vaches, en ayant soin de leur laisser une partie de leur lait pour leurs veaux, on les chassait dans le grand clos fermé, où on les laissait avec les veaux pendant trois ou quatre heures. Alors on rassemblait de nouveau ce troupeau ; on séparait les mères d’avec leurs veaux, et, tandis qu’on gardait ceux-ci dans un clos plus petit attenant au hangar, on chassait les vaches dans le bush en dehors des clôtures. Elles allaient quelquefois assez loin chercher leur nourriture ; mais dès le matin, gênées par leur lait elles revenaient d’elles-mêmes près du hangar derrière lequel les veaux affamés remplissaient l’air de leurs cris.

Nos huttes n’étaient qu’à quelques centaines de pas des yards ; j’aimais à entendre chaque matin cet assourdissant concert de beuglements : sans doute s’il avait été produit par le bétail d’autrui je l’aurais trouvé bien désagréable.

Défrichement dans la station de Dalry. — Dessin de Karl Girardet d’après l’album de M. de Castella.

J’ai parlé souvent des bœufs de trait ; le procédé pour les dresser était bien simple aussi. Les bœufs en Australie sont attelés au moyen d’un joug qu’ils portent sur la nuque et d’une fourche en fer qui les prend sous le cou et se fixe dans le joug avec une clavette. De cette façon ils tirent avec la nuque et les épaules.

Quand on veut dresser une jeune bête, on l’accule dans un coin du yard et on amène à ses côtés un vieux bœuf retraité qui n’est plus bon qu’à donner de bons conseils aux jeunes. Celui-ci a déjà le joug sur son dos ; on passe comme on peut la barre pare dessus l’autre et on lui ajuste rapidement la fourche en fer. Le jeune animal se sentant pris bondit en avant, en arrière, dans tous les sens, entraînant son pauvre vieux compagnon. On les renvoie tous les deux ainsi accouplés au pâturage. Pendant un jour, deux jours, trois jours, le jeune bœuf s’épuise en vains efforts, secouant toujours son infortuné camarade, ne le laissant pas manger parce qu’il ne veut pas manger lui-même. Le pauvre vieux laisse tomber patiemment sa tête en avant, résistant comme il peut aux gambades de son furieux associé. La faim, la fatigue et peut-être les sages exhortations en viennent à bout cependant, et quand ils ont passé quinze jours, broutant, dormant, buvant, mar-