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pour déterminer des maladies chez les naturels qui ne savent pas se mettre en garde contre elle, elle n’offre pas de dangers sérieux pour des gens nourris et vêtus convenablement.

Chose vraiment extraordinaire ! malgré toutes les influences fébrigènes que doivent faire supposer les marais et les grandes étendues de terres continuellement arrosées pour la culture du taro, la fièvre paludéenne est presque inconnue dans le pays, et il est extrêmement rare qu’on trouve dans des affections quelconques indication à la quinine.

Les Européens ont remué ici des terrains neufs pour l’agriculture et pour la construction des routes ; on a jeté des chaussées sur des terres inondées, on a desséché une portion du marais de Port-de-France, et on en a fouillé le fond pour les constructions ; pourtant pas un seul cas de fièvre intermittente ne s’est déclaré, même chez les travailleurs.

L’établissement de Port-de-France est entouré d’autres marais soit d’eau douce, soit d’eau saumâtre, soit d’eau de mer, les uns à une lieue environ de la ville, d’autres beaucoup plus rapprochés ; le vent doit en apporter souvent les émanations (celui qu’on appelle Petit-Marais est situé directement au vent), et cependant jamais de fièvre intermittente dans une population de trois à quatre cents âmes (garnison et colons) ! L’immunité n’existe pas seulement pour les Européens ; elle est la même pour toute l’île, pour les naturels, qui cependant habitent de préférence le voisinage de la mer et des rivières, qui construisent si souvent leurs demeures en des lieux humides et même marécageux, qui couchent sur la terre presque nus, qui sont sans vêtements et mal nourris.


Les Néo-Calédoniens : hommes, femmes. — Alimentation. — Anthropophagie.

Les Néo-Calédoniens appartiennent à l’espèce des nègres océaniens. Ils ont la peau d’un noir fuligineux, couleur chocolat, claire, les cheveux noirs, laineux et crépus, la barbe de même couleur et bien fournie, le nez large et épaté, profondément déprimé entre les orbites, les yeux dirigés comme chez les sujets de notre race, la conjonctive oculaire injectée, ce qui donne à leur regard une expression farouche, les lèvres grosses et renversées, mais ces deux caractères ne sont pas aussi prononcés que chez le nègre africain, les mâchoires proéminentes et les incisives un peu proclives (prognathes), la bouche largement fendue, les dents bien alignées et d’une parfaite blancheur, les pommettes légèrement saillantes, le front haut, étroit et convexe, enfin la tête très-aplatie en travers, surtout à la région temporale, caractère qui ne peut être bien saisi que quand la chevelure est courte. La taille moyenne des individus est au moins aussi élevée que celle des Français ; le tronc et les membres sont bien proportionnés, le développement thoracique et le développement musculaire sont généralement avantageux.

Les Néo-Calédoniens me paraissent ressembler beaucoup aux habitants de l’archipel Fidgi ou Viti, avec lesquels ils ont d’ailleurs de nombreux points de contact sous le rapport des mœurs et des usages[1]. Ces derniers sont pourtant un peu plus favorisés sous le rapport de la taille, de la couleur, et de ce que nous sommes convenus d’appeler la beauté physique.

Les Calédoniens mâles ne sont pas très-laids ; plusieurs même présentent une régularité de traits qui serait trouvée belle en tous pays d’Europe, et il est remarquable que, sous ce rapport, certaines tribus de la côte orientale sont mieux douées que toutes les autres : peut-être cela tient-il à un mélange de races provenant d’émigrations polynésiennes. Ce qui est certain, c’est qu’à une époque encore peu éloignée, une émigration d’Ouvéa (Wallis) est venue aborder dans l’une des Loyalty, dont elle soumit les habitants, et à laquelle elle imposa le nom de sa terre natale et sa langue. C’est l’île Halgan, des cartes de Dumont d’Urville, appelée Ouvéa par les indigènes. La race des nouveaux habitants s’est mélangée avec l’ancienne, et il en résulte une population beaucoup plus belle que celles qui l’avoisinent.

Les communications entre les Loyalty et la côte orientale de la Nouvelle-Calédonie, dont elles sont séparées par un canal de cinquante milles, sont très-fréquentes ; les indigènes d’Ouvéa ont même formé des villages à Hienguène et à Pouébo ; on trouve ces mêmes individus sur toute la côte, depuis Ouagass ou Tiouaka jusqu’à Pouébo.

La laideur des Calédoniennes est connue ; avec leur tête rasée, leur lobule de l’oreille horriblement perforé ou déchiqueté, elles présentent, même à un âge peu avancé, un tableau des moins séduisants. Vouées à de rudes labeurs et à de mauvais traitements, elles ont une vieillesse précoce. Bien que, dans le jeune âge, la physionomie de plusieurs d’entre elles ne soit pas très-désagréable, comme on juge la population en masse, la laideur des Calédoniennes a pu devenir à juste titre proverbiale.

La taille moyenne des femmes est bien inférieure à celle des hommes, et il existe à ce point de vue entre les deux sexes à peu près le même rapport que dans notre race.

Les femmes sont nubiles vers l’âge de douze à treize ans ; cependant elles n’entrent guère en ménage avant celui de vingt à vingt-cinq ans ; Leur développement se fait avec rapidité : ainsi telle fille qui, à douze ans, n’est encore qu’une enfant, est une femme physiquement accomplie trois ou quatre ans plus tard.

Leur fécondité n’est jamais remarquable et s’arrête plus tôt que chez nos femmes, de même que leur vieillesse est plus précoce. Celles qui, dans le cours de leur existence, ont quatre ou cinq enfants sont rares, et beaucoup sont stériles.

Elles allaitent leurs enfants pendant très-longtemps : trois ans en moyenne, et quelquefois pendant cinq ou six ans. Cette durée abusive de l’allaitement est en partie nécessitée par la pénurie des ressources alimentaires. L’oppression sous laquelle les femmes gémissent, l’ex-

  1. Voy. le Voyage à la Grande-Viti, par John-Denis Mac-Donal, dans le premier volume du Tour du monde, page 193.