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tuelle est inapte à leur fournir. Malheureusement, leur île ne leur donne aucun quadrupède, et ils n’ont pas d’armes convenables pour chasser les oiseaux. « Nous avons besoin de chair, il faut nous battre. » Cet atroce, mais énergique langage, dont on saisit tout de suite les conséquences, et qui n’est autre qu’une déclaration de guerre, justifie les opinions que nous émettions tout à l’heure sur la valeur du régime habituel des Calédoniens. Tout homme a besoin de chair, et nous nous demandons si cette horrible coutume, qui bouleverse à tel point les idées de l’homme policé qu’il a peine à y croire, est uniquement l’effet d’un penchant vicieux, d’une dépravation morale, ou si un instinct naturel, irrésistible n’y pousse point le malheureux sauvage confiné dans une île privée d’animaux, et d’ailleurs sans industrie suffisante pour s’en procurer. Du moins, nous croyons que le berger qui lui apprendra à élever des troupeaux fera d’abord au moins autant pour sa civilisation que les moralistes, et que l’homme qui lui facilitera les moyens d’en profiter aura bien mérité de la France et de l’humanité.

La population de l’île des Pins appartient à la variété calédonienne, mais on trouve chez quelques individus qui composent l’aristocratie de la nation une supériorité de formes, une certaine noblesse de traits qui décèlent la présence d’un sang étranger dans leurs veines. L’île a, en effet, reçu à diverses époques des émigrants de race jaune polynésienne, soit directement, soit par l’intermédiaire des Loyalty, et c’est dans les familles aristocratiques qu’on reconnaît aujourd’hui leurs descendants.

Victor de Rochas.




ASCENSION DU VOLCAN L’ORIZABA,

(MEXIQUE. — ÉTAT DE VERA-CRUZ)
PAR LE BARON DE MÜLLER.
1856

Le baron de Müller, après avoir exploré le Canada et les États-Unis, arriva, le 4 août 1856, à la Vera-Cruz. Ce fut là qu’il conçut le projet de faire l’ascension du volcan Orizaba, dont personne encore, disait-on, n’avait atteint le sommet.

Le 30 août, à dix heures du matin, il sortit de la petite ville d’Orizaba, en compagnie de M. A. Sonntag, d’un Suédois nommé Malmsjö, et d’un docteur berlinois. La petite troupe, munie du matériel nécessaire à son entreprise, se dirigea vers le volcan à travers d’étroites rivières rapides, des ravins et des barancas (ravins), qu’il est difficile de franchir même à l’aide des excellents chevaux mexicains. Les habitants cherchaient à persuader à M. Müller que le temps n’était pas favorable ; la neige fondait et les avalanches étaient nombreuses ; ils ne le découragèrent point.

Le premier jour, les voyageurs arrivèrent à l’hacienda de Toquila, près de San Juan Coscomatepes, où ils passèrent la nuit ; ils y complétèrent leurs provisions de bouche. Au village d’Alpatlahua, ils engagèrent quelques Indiens à leur servir de conducteurs, et continuèrent leur route au milieu d’une végétation luxuriante par des sentiers escarpés, des crêtes de montagnes aiguës et des torrents.

La plaine était déjà bien au-dessous de nous, dit le journal du baron de Müller ; à nos pieds brillaient les éclairs et roulait le tonnerre ; nous étions parvenus à une hauteur de deux mille six cent soixante mètres. La végétation avait changé d’aspect ; les plantes grimpantes avaient disparu, mais les orchidées couvraient encore les arbres. »

Par un oubli du porteur de bagages, qui s’était attardé avec les provisions, les voyageurs se virent contraints, à la tombée de la nuit, de redescendre de deux cent soixante mètres plus bas jusqu’à un rancho ou était leur bagage.

Ils y passèrent la nuit ; puis ils se remirent en marche le 1er  septembre dès le matin, et arrivèrent bientôt à la région des sapins. Ils aperçurent sur la route un grand nombre de croix de bois, élevées à la mémoire des voyageurs qui avaient été victimes des malfaiteurs ou de la rigueur des éléments. Il est d’usage que les passants ornent ces croix de fleurs fraîches.

À neuf heures, la troupe arriva au rancho de Jucale, qui se compose de quelques huttes élevées de trois mille trois cents mètres au-dessus du niveau de la mer. Entourés déjà des créations grandioses de la nature alpestre, les voyageurs trouvèrent le chemin de plus en plus difficile et souvent coupé d’horribles barancas.

« À dix heures et demie, écrit le baron de Müller, nous atteignîmes l’extrémité de la baranca de Trinchera et la source du Rio de la Solidad. Non loin de là était le rancho de Jamapa, but de notre excursion de ce jour : c’étaient quelques maisonnettes de bois, dont le propriétaire, un Mexicain déguenillé, nous reçut avec une politesse et une dignité exquises, en mettant tout à notre disposition, c’est-à-dire une hutte qui servait de grange, et qu’il annonçait hospitalièrement comme une auberge. Nous nous restaurâmes en cet endroit, nous bûmes du catalan (forte eau-de-vie espagnole), et nous dormîmes parfaitement. Le jour suivant, au départ, nous aperçûmes la tête colossale du volcan, brillant de l’éclat du soleil dans l’azur. Bientôt la végétation cessa entièrement ; des roches trachytiques de gneiss et d’amphibole,