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La récolte de l’opium. — Falsifications de ce produit. — Tarakli. — Torbaly. — Les aqueducs aériens. — Mudurly.

Notre hôte de Lidja est un ancien capitaine, blessé en 1828 dans le Caucase, dans la guerre contre les Russes, et aujourd’hui propriétaire d’une retraite de dix-huit francs par mois, avec laquelle il vivait largement avant l’expédition de Crimée. Il nous accompagne dans son champ, ou la récolte est en pleine activité.

Les capsules vertes, à peu près arrondies, présentent un diamètre de dix à seize centimètres. Dix femmes sont occupées à pratiquer dans ces capsules des incisions incomplétement circulaires, perpendiculairement à l’axe de la plante. Des incisions jaillit le suc blanc laiteux sous forme de gouttelettes qui se coagulent rapidement à l’air et ne peuvent rouler jusqu’à terre. Les travailleuses s’avancent de front, du nord au sud, de manière à ne point traverser les parties du champ où des incisions ont été pratiquées, afin de ne point enlever par le frottement une partie du liquide qui s’échappe des capsules. L’instrument dont elles se servent est un couteau ordinaire bien aiguisé à la pointe, et recouvert partout ailleurs d’un linge qui permet de le saisir sans danger par la lame.

Hommes et femmes en Anatolie. — Dessin de Grandsire d’après J. E. Dauzats.

Elles ne se mettent à l’œuvre qu’au moment où le soleil a déjà fait disparaître la rosée qui recouvre les capsules. Si elles commençaient plus tôt, une partie du suc, délayé par la rosée, tomberait à terre ou se répandrait sur la surface de la capsule, sans se coaguler rapidement.

À midi, on cesse les incisions pour laisser le suc s’épaissir à la chaleur du soleil et acquérir une consistance qui lui permette de résister à l’influence dissolvante de la rosée de la nuit. Dans une partie du même champ, on commence sous nos yeux à ramasser l’opium sur les capsules qu’on a incisées la veille. Les femmes attachent un vase devant elles, dénudent la lame du couteau qui leur a servi aux incisions, et la passent légèrement sur toutes les parties noires qui constituent le suc concentré et qu’elles déposent dans le vase. L’opération terminée, on pétrit, au moyen de salive, tout le suc recueilli, et on en forme une masse arrondie qui s’aplatit un peu en séchant. Chaque masse est placée ensuite entre deux larges feuilles de pavot, déposée dans une chambre bien aérée jusqu’à ce que les feuilles qui l’enveloppent soient desséchées, et enfin livrée au commerce.

Capsule de pavot. (Papaver somniferum.)

À Lidja et les campagnes voisines, l’opium récolté est pur et de qualité supérieure : malheureusement il n’en est pas de même partout, et la fraude s’est glissée dans ce commerce comme dans tous les autres. La plus commune