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leur. On nous offrit de la bière de Kaupanger, liqueur si forte qu’elle ne se boit que dans de petits verres à pied. En pénétrant plus avant dans le Dystrefjord, environné de montagnes de formes hardies, nous passâmes au pied du Feigumfoss, dont la poussière d’eau, ballottée par le moindre souffle de vent, vint tomber par nuées sur le pont de notre yacht.

Cette chute, fort importante par sa masse et sa hauteur, se divise en deux cascades qui ont ensemble deux cent vingt-cinq mètres d’élévation. Au printemps, quand la neige fond, les deux cascades n’en font qu’une, et toute la masse d’eau se précipite d’un seul jet dans la mer.

Montagnes et fjord de Framnaes (voy. p. 175). — Dessin de M. de Saint-Blaise.

Arrivés à l’extrémité du Dystrefjord, il nous fallut reprendre nos costumes de montagne, grandes bottes montantes et paletots d’hiver, et débarquer nos cantines. Nous devions traverser des glaciers à la suite du prince voyageur. Notre plus grande difficulté fut de trouver des chevaux à la station d’Eide, les meilleurs étant partis quelques heures auparavant pour transporter nos devanciers. Les habitants d’Eide portent un costume assez simple ; femmes et hommes sont vêtus d’une jaquette bleue ornée de boutons de métal ; les premières ont une ample coiffure de toile blanche, les hommes ont le bonnet rouge phrygien. Chacun de nous muni d’un guide portant ses provisions ; chacun hissé sur un petit coursier montagnard, nous commençâmes gaiement une course qui devait durer plusieurs jours à travers les hauteurs inhabitées de Sognefjeld. Ce trajet est parfois fort dangereux ; parfois même les ouragans le rendent impossible, et on nous l’avait vivement déconseillé ; mais puisque le prince osait tenter l’aventure, pouvions-nous hésiter ?

Dès le début de l’ascension nous vîmes surgir de loin les pics énormes du Skjodlen, puis nous nous enfonçâmes bientôt dans la vallée sauvage de Forthun. Ici, tantôt le chemin suit la crête d’une montagne escarpée au-dessous de laquelle est un abîme, et le moindre écart du cheval vous serait funeste ; tantôt il faut descendre des rochers nus et glissants ; quelquefois nous traversons des torrents enflés par la pluie et dont le courant impétueux semble infranchissable ; mais nos braves montures sont habituées à tous ces obstacles, et on peut leur confier hardiment sa vie.

De Saint-Blaise.

(La fin à la prochaine livraison.)