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disait-il, les subtiles recherches d’Aristote ; » néanmoins, j’ai plus d’une fois dans le cours de mes voyages, eu l’occasion de vérifier ses assertions géographiques, et je ne doute pas, s’il en avait eu connaissance, qu’il n’eût au moins mentionné la grotte d’Olearos. Le lecteur verra plus loin dans quel but j’insiste à ce sujet.

Comment on descend dans la grotte d’Antiparos. — Dessin de Rouargues.

L’île d’Antiparos, qui appartenait aux Vénitiens, tomba au pouvoir des Turcs en 1714, après la prise de Néapolis de Roumélie (Nauplie), ainsi que le témoigne un passage de l’histoire de Venise par l’abbé Laugier. Aujourd’hui elle fait partie du royaume de Grèce.

C’est du reste une pauvre possession qu’un écueil de vingt-six kilomètres de tour, inutile comme position militaire, et qui produit à peine assez d’orge pour nourrir quelques centaines de misérables composant sa population. Cependant je dois avouer pour être juste que, dans l’espace d’une demi-heure que nous mîmes à nous rendre du rivage à l’entrée de la grotte, la vue de force lapins et pigeons sauvages nous fit regretter plus d’une fois les fusils que nous avions laissés à bord.

Des bouquets de cèdres et de cyprès semés çà et là dans de vastes clairières couvertes de thym odoriférant, des câpriers en fleurs se déroulant en pittoresques festons sur les rochers, sont à peu près les seuls végétaux importants de l’île, sans oublier cependant le lentisque, plante commune aux îles de l’Archipel, dont on tire le raki ou mastic, liqueur incolore qui blanchit au contact de l’eau, et prend. les teintes de l’opale. Ce mélange rafraîchissant et apéritif est l’absinthe orientale ; pris en quantité copieuse, il produit une ivresse que ne dédaignent pas, dit-on, les sectateurs de Mahomet.

Obligés pour visiter le village d’allonger notre route, nous ne jugeâmes pas à propos d’en troubler les paisibles habitants et nous nous contentâmes de jeter de loin un regard de commisération sur cet amas de pauvres cabanes et sa petite crique, bonne tout au plus à renfermer quelques tartanes égarées ; puis, à grands pas, nous nous dirigeâmes vers le but de notre excursion.

L’entrée de la grotte, à laquelle nous arrivâmes vers onze heures du matin, est une caverne assez spacieuse, soutenue par des piliers de rocher, ouvrage de la nature, et couverte de câpriers et de plantes grimpantes qui s’enroulent avec grâce à son couronnement. À droite est une petite masure fort ancienne, ruinée et sans toiture ; au fond se trouve une plaque de marbre blanc avec une croix en relief, le tout en fort mauvais état ; un peu plus loin à gauche, sur un gros pilier masquant le trou béant qui sert à descendre dans la grotte, se lit ou plutôt ne se lit plus une inscription grecque à peu près effacée et que Tournefort prétend avoir complétée grâce à l’obligeance d’un bourgeois de la localité.

Voici cette inscription telle que la donne notre devancier :

ΕΠΙ
ΚΡΙΔΕΗΛΘΟΝ
ΟΙΔΕΝΑθΟΝ
ΜΕΝΑΝΔΡΟΣ
ΣΟΧΑΡΜΟΣ
ΜΕΝΕΚΑΤΗΣ
ΑΝΤΙΠΑΤΡΟΣ
ΙΠΠΟΜΕΔΟΝ
ΑΠΙΣΤΕΑΣ
ΦΙΑΕΑΣ
ΓΟΡΓΟΣ
ΔΙΟΓΕΝΗΣ
ΦΙΑΟΚΡΑΤΗΣ
ΟΝΕΣΙΜΟΣ

« Sous la magistrature de Criton, vinrent en ce lieu : Ménandre, Socharme, Ménécate, Antipater, Ippomédon, Aristée, Philéas, Gorgon, Diogène, Philocrate, Onésime. »

Tournefort rapporte ensuite comme une tradition accréditée dans le pays, que cette inscription servait à rappeler l’arrivée dans l’île des conspirateurs, qui, ayant échoué dans une tentative contre la vie d’Alexandre le Grand, vinrent se réfugier dans la grotte ; cependant le célèbre botaniste déclare n’accepter cette version que sous bénéfice d’inventaire, et je le loue fort de cette réserve.