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aux princesses, leurs compagnes, on ne peut bien les apprécier si on ne se souvient pas et de Nausicaa, allant laver elle-même à la rivière le linge sale de sa royale famille, et des jeunes beautés d’Édom ou de Madian, se levant avant l’aurore pour piler dans un tronc d’arbre, artistement creusé, le mil ou l’orge destiné aux couscous du puissant patriarche leur père. Malheureusement on ne peut pousser plus loin ce parallèle poétique. Je ne sais si les princes et rois du Cayor, du Sine, du Baol et du Saloum, pourraient manger autant que les héros d’Homère, mais l’ivrognerie la plus grossière, la plus éhontée est, de père en fils, leur péché mignon.

Malgré toutes les concessions faites à ces tyranneaux odieux ou grotesques, toutes les humiliations supportées par les traitants, ou négociants sénégalais indigènes, ou plutôt à cause de ces concessions et de ces humiliations, on se permettait encore journellement contre nous des vols et des violences de toute nature, et le commerce déclarait tout d’une voix que les conditions dans lesquelles il opérait étaient ruineuses pour lui.

Indigènes du haut Sénégal : Peulhs et Malinkés. — Dessin de J. Duvaux d’après A. Raffenel.

Non-seulement les Européens n’avaient pas le droit d’aller commercer dans le fleuve, mais les indigènes de Saint-Louis, qui seuls y allaient, ne pouvaient s’arrêter devant un village sans commencer par payer un tribut ; les ministres des Maures avaient le droit d’arrêter et de saisir eux-mêmes, à bord des bateaux portant pavillon français, les gommes qui ne provenaient pas des escales. Les navires naufragés à l’entrée du fleuve appartenaient au roi du Cayor après la deuxième marée. On payait pour circuler dans les chenaux de l’archipel fluviatile qui entoure Saint-Louis. On payait jusqu’à quinze cents francs par bâtiment pour passer devant chaque village habité par un hobereau possesseur d’une canardière. Les villages sous nos postes n’étaient pas à nous et nous faisaient la loi ; enfin le roi des Trarzas percevait des droits jusque dans Guetn’dar, faubourg de Saint-Louis.

Ce chef, le plus puissant et le plus orgueilleux de toute la ligue des souverains maures, avait fini par tarifer comme suit ces droits aux escales de son territoire : deux pièces de guinée (cotonnade bleue) par mille kilogrammes de gommes traitées ; et deux autres pièces par mille kilogrammes de gommes envoyées des navires à Saint-Louis. En outre, les coutumes imposaient :

Pour le souper du roi 2 pièces de guinée.
Pour la bagatelle du roi 2 id. id.
Pour la bagatelle de la reine 1 id. 1/2 id.
Pour la bagatelle du ministre 1 id. id.
Pour le souper du ministre 1 id. id.

Tout traitant était encore obligé d’envoyer tous les soirs au ministre un plat de riz, sous peine d’une amende de cinq coudées de guinée ou deux francs cinquante centimes par plat, laquelle amende était recouvrée par le