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lieu qu’il occupât, c’était certainement la place d’honneur. Le menu des festins du lord-maire de Londres, que le Times enregistre complaisamment dans ses colonnes, peut seul donner une idée de la délicatesse de ce souper, où tous les invités furent admis, et la musique des régiments Préobrajensky et Pavlovsky firent entendre, pendant tout le temps du repas, de joyeuses mélodies.

À compter de cette belle fête, qui inaugurait d’une manière si brillante les plaisirs de l’hiver, elles se succédèrent avec fréquence dans les hôtels princiers de l’aristocratie. Je voudrais pouvoir les raconter toutes ; mais celles qui m’ont le plus frappé par leur éclat furent un bal chez M. Emmanuel Narichkine, un concert chez le comte Orloff Dawidoff, et l’inauguration des salons du prince Galitzine. Le carnaval vint donner un nouvel essor à ces fêtes, qui se terminèrent par celle que Mme la grande-duchesse Marie Nicolaevna donna dans son magnifique palais. À peine le dernier coup de minuit du dimanche gras[1] avait-il sonné que, semblables à la Cendrillon du conte des fées, les belles danseuses s’enveloppant de leurs chaudes fourrures, regagnèrent leurs équipages : le carême et ses austérités régnait désormais en maître dans toutes les familles de l’empire russe.

Entrée d’un bain un samedi. — Dessin de M. Blanchard.

Et la neige recouvre toujours le sol, et la Néva est toujours emprisonnée sous sa voûte glacée. Les arbres dépouillés courbent encore leurs branches sous l’effort puissant des brises froides envoyées par le pôle. Bientôt la neige tombe plus abondante en flocons épais ; les vents du couchant, si longtemps enchaînés, reprennent leur empire : le mois de mars est arrivé. Les nuits sont froides encore, mais, dans la journée, le soleil fait sentir son influence chaque jour croissante, la terre se débarrasse de son linceul glacé, les bourgeons que le froid emprisonnait essayent de percer l’écorce des tilleuls, et le promeneur un matin aperçoit, au lieu de la surface immobile de la Néva glacée, ses eaux bleues et limpides qui se rident doucement en reflétant les rayons d’un soleil radieux.

P. Blanchard.



  1. Le carême commence le lundi dans le rite grec.